Mémoire sur la Bastille

XX PRÉFACE

sacrilèges, les banqueroutiers frauduleux, combien la Bastille n’était-elle pas plus accommodante que les pénalités légales! Ainsi, à l’intérieur des mêmes murailles où gémissait l'innocence, il se pouvait aussi que le crime respirât plus librement.

De la Bastille, comme de l'arbitraire, on peut tout dire. On ne pourrait aller au fond des choses que par une statistique dont les éléments sont loin d’être tous réunis. Pour beaucoup de prisonniers, la Bastille est une maison de correction morale, une prison préventive de délits futurs ou probables. Voici un exemple entre cent. À plusieurs reprises, un fils menace de mort son père. Un jour ou l'autre, on le présume, le crime sera commis, la famille sera déshonorée, le coupable aura le poing coupé, et, la tête enveloppée d’un voile noir, sera brûlé vif au milieu des applaudissementis de la populace. Ne vaut-il pas mieux, pour la société et pour les particuliers, que le misérable expie en secret ses intentions criminelles, ei qu’il soit mis dans l'impossibilité de nuire? On objectera que la loi doit punir, et non prévenir les crimes, que les intentions ne sont pas de son ressort. Cela n’est pas vrai de la loi ancienne, religieuse autant que politique, chrétienne, et non pas athée, et pour qui la répression n’est rien sans l’expiation. D'ailleurs l’État moderne, — puissance spirituelle autant que temporelle, — n’a nullement abdiqué son droit de correction à l'égard des mineurs : seulement