Mémoires du général Baron Roch Godart (1792-1815)

60 MÉMOIRES DU GÉNÉRAL GODART

je ne voulais pas, bien entendu, employer la force des armes pour détruire cette bande. J'eus donc recours à la ruse, et je me donnai bien de garde de confier mon secret à qui que ce füt, même à mes plus grands amis.

Je commençai par faire courir le bruit dans l’île que les Français y étaient venus pour propager la liberté et l'égalité, ainsi qu'un pardon général à tous les déserteurs et condamnés qui n'avaient commis que des fautes légères; que des congés seraient délivrés à ceux qui voudraient retourner dans leur pays, et que ceux qui désireraient reprendre du service y seraient autorisés. Je fis répandre, à cet effet, dans les différents endroits de l’île, une proclamation en trois langues, par un sousofficier vénitien, déserteur français, qui me servit fidèlement. Quelques jours après le départ de mon sous-officier, deux individus de la bande en question s'étant présentés chez moi, je les accueillis on ne peut mieux ; je les fis bien boire et manger. Je convins avec eux que, puisqu'ils étaient envoyés par leurs compagnons, je les attendrais tous chez moi, tel jour et à telle heure, pour leur accorder leur pardon; ce qu'ils me promirent. Je leur demandai en même temps l’état nominatif de tous, afin que je pusse préparer à l'avance des congés à ceux qui -en désireraient, Ces deux envoyés furent très joyeux et me quittèrent en me nommant déjà leur libérateur. Je leur remis un papier signé de moi avec mon cachet, lequel les autorisait à voyager dans toute l’île.

On se doute bien, après l’entrevue que j’eus avec ces deux particuliers et l’accueil que je leur fis, que je dus paraître suspect aux yeux de beaucoup de personnes du pays. Il n’en fallut pas davantage pour faire croire que je voulais faire une révolution dans l’île, et y jouer le