Mémoires du général Baron Roch Godart (1792-1815)

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premier rôle, en me mettant à la tête de la populace et des mauvais sujets. Toutes les apparences étaient contre moi; aussi je pressai mes dispositions pour tâcher de réussir promptement dans mon entreprise. Je me bornais à répondre à toutes les questions qu'on me faisait, que l’on entendrait parler de moi dans quelques jours.

Enfin, arrive ce jour que j'attendais avec tant d’impatience. À dix heures du matin, toute la bânde devait se trouver chez moi, et personne ne paraissait encore. Je craignais toujours qu'on eût deviné mon secret, lorsqu’un instant après, j'eus le plaisir de voir entrer dans ma chambre quarante-cinq individus, le sous-officier et les deux députés à la tête.

Il est bon de dire que j'avais trouvé le moyen, sans que personne le sût, de faire placer, dès le matin, dans mon logement, une compagnie de grenadiers, qui devaient entrer par trois portes, à mon signal, dans le salon où je recevrais tous mes mauvais sujets".

Aussitôt qu'ils furent entrés, je les fis ranger par classe : les déserteurs ensemble, les forçats, idem, et les condamnés aux travaux publics. J'entrai ensuite dans mon cabinet; je donnai le signal, et, sur-le-champ, tous mes grenadiers entrèrent par les trois portes, se saisirent de la totalité de la bande et les conduisirent, savoir : les forçats, aux galères; les condamnés aux travaux publics, où se trouvait leur établissement, et les déserteurs, au général vénitien Grimaldi.

Ce fut alors que la surprise devint générale. Les offi-

1 C'est par une habileté semblable que, dès ses débuts de commandant, il avait amené quelques mauvais soldats à se trahir eux-mêmes. Ce sont des moyens dont l'emploi étonnerait moins de la part d’un chef de police, où même d'un juge d'instruction, que de la pärt d'un soldat: Mais les limites de ce qui se concilie avec la délicatesse sont, en toute stratégie, malaisées à déterminer.