Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

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loin et dans l'ombre, et qui s'évanouit dès qu'on s'en approche à la clarté de la raison.

C'est pour ne s'être pas avisé de cette nullité de l’idée de Dieu, dans les questions de politique et de morale, que les meilleurs écrivains sur ces matières se sont égarés. € Qu'est-ce qui a si souvent retardé et embarrassé la marche de Montesquieu, dit Naigeon ? qu'est-ce qui lui a fait écrire les trois premiers chapitres de l'Esprit des lois, qui ne sont ni d'un bon logicien, ni d'un politique philosophe ? qu'est-ce qui la entraîné dans des erreurs graves et toutes voisines d’une sorte de superstition ? qu'est-ce qui lui à fait méconnaître les vraies bases d'un bon système de législation, si ce n'est l'importance excessive et peu réfléchie, qu’il semble attacher aux idées religieuses, soit qu'il ne les eût pas assez approfondies pour avoir lui-même à cet égard une opinion arrêtée, soit qu’un reste de respect, purement machinal, pour de vieux préjugés, ait enchaîné sa raison. » Ainsi voilà Naigeon peu satisfait de Montesquieu ; je le comprends, ses griefs ont quelque fondement ; l'auteur de l'Esprit des lois a péché par sa foi en cet ordre de rapports, qui règlent le monde moral aussi bien que le monde physique, et au principe dont ils émanent : c'est de la pure superstition. Mais Naigeon n’est

pas plus content du livre de l'Esprit, et de celui de l'Homme auxquels, dit-il, peuvent s'appliquer les mêmes

remarques ; et il faut avouer qu'ici il est bien difficile, car je ne sache pas qu'Helvétius dans le premier, mais surtout dans le second de ces ouvrages, ait beaucoup sacrifié à l'idole dont, il est vrai, Montesquieu a eu la faiblesse,