Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

— 88 —

l'ennui la gagne et la flétrit. Quelles que soient les beautés du monde et les illusions dont il trompe les plus prévenus de ses adorateurs, il y a toujours en lui, à défaut de Dieu et de ses perfections, je ne sais quelle froide insuffisance qui le rend profondément froid et triste; aux plus enivrantes de ses jouissances, succèdent d’'inévitables désenchantements; la jeunesse elle-même en fait bientôt l'expérience, mais l’âge mûr et la vieillesse en acquièrent et en gardent la profonde conviction. Tous ces grands retours à Dieu, toutes ces grandes conversions, dont on n’a pas toujours le secret, la plupart du temps, ont leur cause dans un amer dégoût du monde, venu lui-même d’un long et coupable oubli de Dieu.

Sans l'infini pour nous occuper et nous captiver souverainement, pour nous offrir dans ses perfections un éternel objet d’attrait et d'affection, la vie n’a plus son vrai but, son principe d'activité, de satisfaction et de bonheur. Il y a, comment dirai-je, ce vaste désœuvrement de toutes nos facultés, qui amène cet incurable ennui, dont certains esprits sont atteints. Le défaut de foi à l'infini, voilà la grande cause de l'ennui. Qu'est-ce qui fait au fond qu’on est pris de ce mal? C'est qu'on ne peutse passer de l'infini, et que cependant, on s’en détourne, c'est qu'on enale besoin, et qu'onen a pas le vouloir, c'est que de sentiment on y aspire, et que par philosophie, fausse philosophie, veux-je dire, on y répugne ; c'est qu'on s’agite dans une douloureuse et insupportable contradiction, entre l'infini qu'on appelle et l'infini qu’on repousse. L’infini, voilà ce qui seul au fond remplit, éclaire, charme et adoucit la vie. Le fini en lui-même, et sans l'infini, ne fait qu'y répandrele vide, laconfusionet la tristesse. L'ennui devrait être la maladie des athées, s'ils n'étaient véritable-