Mémoires sur Naigeon et accessoirement sur Sylvain Maréchal et Dalalande : lu à l'Académie des sciences morales et politiques

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ment que cela; si en eux avec l’athée il n’y avait pas l'homme même, le citoyen, le père, l'ami, le poète, l'orateur, le héros, pour lui rendre ce qui lui manque du côté de sa détestable opinion. Les âmes religieuses, au contraire, ne doivent pas connaître l'ennui; car elles sont en continuelle communion avec celui qui fait l'occupation, la joie et la longue sérénité du cœur.

Mais j'ai presque à demander grâce pour ces pensées qui m'éloignent trop de mon sujet, et je dois le dire aussi de mon auteur. Je me hâte de les quitter pour revenir à celles qui lui sont familières.

En continuant sa comparaison de l’homme sans Dieu avec l’homme de Dieu, Sylvain Maréchal estime que le premier éprouve sans doute de vifs regrets à la séparation de tout ce qu'il aime, mais la raison lui dit que tel est l'ordre immuable des choses (ce qui est fort consolant en vérité, quand on ne donne à cet ordre d'autre principe que le hasard et d'autre fin quele néant) ; « d'ailleurs, ajoute--il, l’homme sans Dieu ne meurt pas tout entier ni tout à fait; un père de famille est éternel, il renaît, il revit dans chacun de ses enfants, et jusqu'aux parties de son corps, rien de lui ne peut s'anéantir. » En vue d'une telle immortalité, « qui de nous regretterait ses jours, dit-il encore, sur un ton qui dément un peu l’austérité de certaines paroles que nous venons d'entendre de lui, s'il en avait passé les premières heures dans l'école de Pythagore et d'Aristote, puis accepté l'hospitalité chez Anacréon, Lucrèce ou Chaulieu , et après s'être promené dans les jardins d'Épicure ou d'Helvétius, se laisserait surprendre par la nuit entre Aspasie et Ninon. »

Après avoir ainsi défini, caractérisé et vanté l'athée à diffé-