Michelet et l'histoire de la Révolution française

MICHELET. — HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE 95

prendre ou la Révolution de Quinet ou les Considérations de Mwe de Slaël, quiexaminait les fautes de la Révolution pour y trouver les ééments d’une apologie du gouvernement anglais. Taine est, lui aussi, hanté du regret que les Français n’aient pas pu, comme les Anglais, faire une Révolution qui accommodât toutes les traditions politiques du passé avec les nécessités du progrès moderne, qui transformät les institutions progressivement, en tenant toujours compte des intérêts pratiques, sans tout bouleverser au nom d’un idéal théorique chimérique et irréalisable. Ce qui fait l'intérêt et aussi la faiblesse de son livre au point de vue scientique, c'est qu'il n’a pas abordé l'histoire de la Révolulion sans idée préconçue, comme l'ont fait Tocqueville et Sorel, lorsqu'ils ont cherché à la comprendre sans s'inquiéter d'avance des conclusions auxquelles ils arriveraient. [l'a entrepris son travail à un moment où la France lui paraissait courir aux abimes, et où le vice fondamental de ses institutions lui paraissait être l'exagéralion des idées égalitaires et de la centralisation gouvernementale, l'absence d’un organisme social et polilique hiérarchisé faisant leur place à des forces locales, à des groupements autonomes et coordonnés, à l'action individuelle, à une liberté réglée par la loi. La France contemporaine étant sortie de la Révolution, c'est dans la Révolution que Taine a cherché les Origines de la France contemporaine, non pas dans la Révolulion seule, mais aussi dans l'Ancien Régime qui a produit la Révolution el dans FEmpire qui en est résulté. Il a étudié ces trois grands faits historiques avec l’inlention d'y trouver, non pas l'explication des institutions et de l’état social et politique d'aujourd'hui, mais l'explication des défauts de ces institutions et de cel élat social et politique ; ce qui le condamnail d'avance à écrire son livre dans

un esprit pessimiste et à examiner {ous les événements avec une disposi- ©

tion chagrine et hostile. J'ai rencontré Taine peu après la guerre quand il commençait à faire ses recherches aux archives ; il se mit à causer avec moi des idées qui le guidaient dans ses recherches. Au bout d'un moment je lui dis: « Je comprends, l'Ancien Régime a été un fiasco, la Révolulion un fiasco, l’Empire un fiasco, c'est pour cela que nous palaugeons dans la boue. » — « C’est absolument cela », me dit-il.

Évidemment une pareille disposition d’espril n'est pas très favorable à une étude sereine ni à des conclusions impartiales ; mais il n’est pas défendu, si un élat de choses vous paraît dangereux ou mauvais, d'en demander l'explication à l’histoire, et, dut celte explication être partielle etpartiale, elle peut être très importante, non seulement pour comprendre les choses actuelles, mais aussi pour comprendre le passé, si l'étude a été faite avec pénétration et vigueur. Ce fut le cas pour Taine et, quels qu'aient été les parli pris qui l’ont guidé el dans ses recherches et dans ses jugements, son livre est infiniment utile et pour l'intelligence de l’état présent de la France et pour l'intelligence de son passé.

Seulement, il faut bien se rappeler que Taine n’a pas écrit une histoire de la Révolution, mais une étude psychologique et philosophique sur Ia formation des insüitulions et de la mentalité de la France contemporaine. Bien que Taine prétendit être un simple collecteur, observateur et classificateur de faits, et que son livre tout entier soit une série de faits mis en aussi haut el coloré relief que possible, destinés à illustrer et prouver chacune de ses assertions, il élait avant tout un logicien et par lk-même un idéaliste, qui au fond ne voyait qu'une lutte d'idées sous l'ap-