Opuscules et fragments inédits de Leibniz : extraits des manuscrits de la Bibliothèque royale de Hanovre

PRÉFACE vV

EEE À

des deux colonnes ainsi marquées; il s’augmentait successivement d’additions et de notes marginales inscrites dans l’autre colonne; et il n'est pas rare que celle-ci soit aussi pleine que celle-là. Parfois, c’est dans le blanc réservé en tête, autour du titre, que l'on trouve des notes marginales d’une certaine étendue, comme celle qui figure au début du Tentamen Anagogicum !. On conçoit aisément que ces additions, souvent surchargées elles-mêmes d’additions ultérieures, compliquent et dénaturent le texte primitif et donnent lieu à des périodes d'une longueur insolite, qu’on ne s'explique pas quand on n’en connaît pas la formation progressive. Comme le disait un de nos maîtres, la phrase de Leibniz se développe par intussusception, ou plutôt à la façon d’une monade qui déroule ses replis. Il est extrêmement intéressant d'assister à ce développement de la pensée du philosophe, et c'est ce que nos signes critiques permettront au lecteur de faire comme s'il avait le manuscrit sous les yeux. Les ratures de Leibniz ne sont pas moins instructives : car elles trahissent souvent sa pensée intime, elles répondent au premier mouvement de son esprit, qu'il corrige ensuite pour des raisons de prudence, de politique ou de diplomatie ?. Nous n'avons reproduit, parmi les innombrables ratures des manuscrits, que celles qui offraient quelque intérêt théorique, en montrant les tâtonnements de la pensée de l'auteur. Comme presque tous ces manuscrits ne sont que des brouillons, on assiste à l’éclosion de cette pensée, on suit pas à pas ses recherches, ses tentatives, ses insuccès, ses retours, et ce spectacle passionnant, parfois presque dramatique, est autrement intéressant que la lecture d’un texte définitif et fixé. On pénètre ainsi dans l'intimité de ce grand esprit; on s'initie non seulement à sa méthode de travail, mais à ses plus secrètes pensées, à ses habitudes inconscientes et à ses tendances fondamentales. C’est de cet avantage que nous avons tâché de faire profiter autant que possible le lecteur.

Nous n'avons pas cru pouvoir classer ces textes inédits dans un ordre systématique qui en fit ressortir les relations : d’abord, parce que, comme nous l'avons dit, nous ne prétendons pas en donner une édition défini-

1. Maru., NII, 5 (Phil., NII, 270). Ce début est méconnaissable dans l'édition de Gérhardt, qui a confondu la note marginale avec le texte. Le De Cognitione, Veritate et Ideis, notamment, aurait grand besoin d’une revision critique de ce genre.

2. Voir, par exemple, p. 95-96, les ratures si instructives du fragment Pur, V, 8, g : elles révélent pleinement l'intention cachée et le but pratique de ce mémoire, qui n'apparaissent pas dans le texte déjà publié. Voir aussi les corrections curieuses du fragment Paic., VII, 57.

3. Voir notamment le « de Formæ Logicæ comprobatione per linearum ductus » (Priz., VII, B, 1v) et les Generales Inquisitiones de Analysi Notionum et Veritatum, 1686 (Paiz., VII, C, 20), où l'on voit Leibniz essayer tour à tour divers systèmes de Calcul logique, passer alternativement du point de vue de l'extension à celui de la compréhension, et se heurter à des difficultés qui viennent de ce qu'il veut à tout prix justifier les régles de la Logique classique.