Opuscules et fragments inédits de Leibniz : extraits des manuscrits de la Bibliothèque royale de Hanovre

VIII PRÉFACE

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ses idées, et les a léguées à la postérité sous la forme de notes détachées et de brouillons parfois informes? On publie jusqu'aux moindres ébauches de Victor Hugo, et même d’auteurs de bien moindre valeur; et l’on dédaignerait les « petits papiers » de Leibniz, et on lui marchanderait le nombre des volumes? Ce n’est pas possible, ce serait indigne de notre temps, si curieux d'histoire, et si respectueux du passé, parfois jusqu’à la superstition.

Au surplus, ce qu’on demande à l'Association internationale des Académies, ce n’est pas une « restauration » plus ou moins habile et savante de l’œuvre de Leibniz, une édition de « morceaux choisis » soigneusement triés ad usum scholarum : ce qu’on attend d'elle, c’est qu’elle tire de la poussière et de l'oubli cette masse énorme de documents, c’est qu'elle préserve de la destruction le fruit d’un demi-siècle de pensée et d'activité; en un mot, c’est la publication intégrale et scrupuleusement objective des « reliques » de Leibniz. Ce sera ensuite l'affaire des érudits d'y chercher les documents dont ils auront besoin pour leurs études, ou d’en extraire à leur gré la matière d'éditions classiques ou partielles. Mais, avant tout, il importe de mettre au jour (après tantôt deux siècles qu'il est ensevelil) Leibniz tout entier, et de le mettre à la portée de tout le monde savant.

Toutefois, on peut se demander s’il est bien utile de publier tous ces brouillons, souvent incomplets et presque informes, qui se répètent ou se ressemblent. Ici il convient de préciser. Lorsque l’on a à la fois le brouillon d’un opuscule et la copie (en général revue et corrigée par Leibniz), on peut évidemment se contenter de publier la copie, en notant les additions, les corrections et les variantes !. Mais ce n’est là qu'un cas très rare : et cela s'explique par la méthode de travail de Leibniz. Comme il « pensait toujours », il jetait sur le papier, n'importe où il fût, même en voyage *, les idées qui lui venaient incessamment à l'esprit; puis il mettait de côté ces brouillons, et ne les relisait jamais : en effet, leur accumulation même l'empéchait de retrouver celui dont il eût eu besoin, et il avait plus tôt fait de l'écrire à nouveau. On comprend dès lors que ces ébauches successives d'un même opuscule ne soient jamais semblables : lors même que le fond des idées est le même, le développement ou parfois même le plan est différent: et si, en général, on peut constater un progrès de l’une à l'autre, les premières contiennent néanmoins souvent des détails ou des vues qui manquent aux dernières. Dans tous les cas, toutes sont intéressantes au même degré, à titre de manifestations de l'état d'esprit de Leibniz à un moment donné : tous ces « instantanés » de sa

1. Exemple : le Pacidius Philalethi (Maru., X, 11). | . 2. C'est probablement ainsi qu'il a écrit le plan d’un nouveau De Arte combinatoria sur une note d'hôtel (Maru., I, 27, d).

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