Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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des reproches sur ce qu'il ne hâtait pas assez la progression du nombre des condamnés. On lui ordonna de le porter à cent cinquante par jour. Il s’y refusa. En revenant de cette séance, ajoute-t-il dans là même déclaration ; mon esprit était tellement saisi d'horreur , que la rivière me parut rouler du sang.

Il n’y avait plas d'âge dans les prisons ; il était un mot que les détenus se répétaient souvent : Mes amis nous avons tous quatre-vingts ans. Hors des prisons sur-tout, Ja fatigue de la vie agissait chaque jour comme un Poison lent, qui faisait languir les sens, la volonté, la sensibilité même. Déjà plusieurs avaient rejeté les nombreuses précautions auxquelles ils avaient attribué jusque-là le salut de leurs jours. Ceux qui avaient échappé presque miraculeusement des gouffres sanglans de Paris, de Lyon , d’Orange, d'Arras, de Nantes, venaient s'y replonger avec indifférence. Les fugitifs sortaient de leurs déserts, et attendaient sur une grande route la main infime qui les arrêterait, Fais-moi mourir, écrivait un jeune homme à Fouquier-Thinville : s5 c'est un crime de détester, toi, Les tiens el tes mnaîtres, personne rest Plus coupable que moi ; faisMOT mourir. Fouquier-Thinville exaucait tous les vœux de ce genre.

Une jeune femme ornée de grâces et de vertus , la cidevant princesse de Monaco, après avoir entendu son arrêt de mort, s'était déclarée grosse. Déjà on lui avait accordé un délai (que ne pouvait elle prévoir qu'il était un gage de salut !} : le.lendemain elle se démentit, et subit la mort,

Si lame pouvait encore s’exalter , c'était par la pensée d’un dévouement. Mme Lavergne, la femme du commandant de Longwi, en offrit un touchant exemple. Elle était jeune ; son mari était plus que sexagénaire. Elle s'était flattée de fléchir les juges devant lesquels il allait paraître. À cette époque , le tribural conservait encore quelques formes qui offraient un trompeur espoir à l’accusé. Elle eut le courage de se trouver à la séance fatale. Elle vit opprimer le vieillard par des questions, des reproches, des invectives qui l'avertissaient de l’inutilité d’une justification, L'arrêt est por té. Tout-à-coup le cri de vive le roise fait entendre. Tout frémit , tout s’agite. Il n’est aucun des spectateurs qui ne craigne de passer pour le coupable. Mme Lavergne. perce la foule, se montre à tous les regards : five Le roi ! répète-t-elle encore. On l’arrête; elle sourit. Elle est impatiente d'être auprès de son mari, Le peuple murmure ; plusieurs voix crient aux jurés : Ne voyez-vous pas que c'est üne femme en délire ? D'un ton plus calme , elle ex-