Précis de l'histoire de la révolution française. T. 1-3

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jectures. Comme dans une circonstance périlleuse il accepta depuis cette même dignité qui venait d’être dépouillée de beaucoup d'éclat et de force, on peut ajouter foi à une conjecture que lui-même prenait peu de soin de désavouer. Il avait eu quelques dissentimens avec Rewbel, dans une mission qu’ils avaient remplie en Hollande. Il craignait dans ce collégue ce que celui-ci craignait peut-être dans Sieyes. Ils passaient tous deux pour être opiniâtres ; l’un dans des systèmes vastes, mais embarrassés ; l’autre dans des mesures brusques, expéditives , qui accusaient la passion et n’excluaient pas la ruse. Carnot fut nommé à la place de Sieyes. Le parti qui se félicita de cette élection comme d'un triomphe , le parti qui en murmura, se virent également trompés dans les divers calculs de leur prévoyance. Barras était regardé comme lPAchille de la convention, mais non pas comme celui de la France. Letourneur était estimé, et n’était craint d'aucun parti; on reconnaissait à Laréveillère Lepeaux un zèle sincère pour la république, beaucoup de désintéressement ; mais ces qualités ne paraissaient pas dirigées en lui par un esprit étendu , juste et calme.

Les cinq directeurs nommèrent leurs ministres, à-peuprès dans le même esprit qu’ils avaient été nommés euxmêmes; c'étaient de nouveaux appuis ajoutés aux débris puissans de la convention. Chaque jour confirma le pacte de famille qui unissait le directoire avec la majorité du corps-législatif. Celle-ci fut docile à se plier à une certaine subordination , à défendre , à agrandir la prérogative directoriale , qui tenait un milieu entre la formidable dictature du comité de salut public de la convention et la faible autorité constitutionnelle du dernier roi des Français.

La république était régie par deux systèmes de lois qu’il était difhicile de concilier. La constitution de l’an 3, un certain nombre de décrets conservés de l’assemblée constituante , ou échappés à la convention dans quelques jours de calme, formaient le premier de ces systèmes ; le second était composé d’une vaste et effrayante collection de lois révolutionnaires : la république les reçut à sa naissance, et les conserva jusqu’à son déclin, qu’elles précipitèrent. Le corps-législatif se forma bientôt en deux partis, dont lun montra de la prédilection pour les lois constitutionnelles , et l'autre pour les lois révolutionnaires; mais ils étaient inégaux en forces. La prudente minorité exposait peu sa faiblesse, n'irritait point, ne flattait point les vainqueurs du 13 vendémiaire, couvrait les ombrages que lui inspirait le directoire des intérêts de la liberté même, atti-