Rouget de Lisle : sa vie, ses œuvres, la Marseillaise
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mon imagination, amenant à leur suite des idées nouvelles et réclamant pour celles-ci comme pour ellesmêmes des expressions qui se précipitaient sous ma plume. Quant à mon violon, notre paix fut plus diffieile à conclure. Mes doigts eurent d’abord à lutter contre des cordes rancunières et rebelles; mon archet refusait d’obéir à une main qu’il ne connaissait plus. Un peu de patience triompha de ces obstacles, et bientôt mon ermitage fut embelli, vivifié par le concours de moyens qui, vulgaires sans doute, ne m’en rendaient pas moins les vieux plaisirs de l’habitude, rajeunis par tout l'attrait de la nouveauté.
« Un soir, vers le milieu de mai, après quelques heures d’enchantement, données soit à mes rêveries littéraires, soit à des improvisations musicales plus ou moins fautives, plus ou moins insignifiantes, mais non dépourvues de verve et de facilité, je vins, la tête singulièrement exaltée, me reposer au-dessus d’une terrasse couverte de rosiers et d’autres arbustes en fleurs, sur un balcon dominant une campagne immense, et devant lequel se déploie une des vues les plus riches et les plus variées que l'œil humain puisse contempler. Il était dix heures. L’obscurité me dérobait ce spectacle que je ne vis et ne me rappellerai jamais sans émotion. Comment peindre celui qui le remplaçait !
« La nuit régnait dans toute sa magnificence, une de ces superbes nuits de printemps dont le charme tempère la majesté, et qui de l’univers font à la fois le sanctuaire d’une religieuse admiration et le temple de la volupté. Les hautes régions de l’air resplendissaient, étincelantes de myriades d'étoiles, reflétées à l'infini par l’azur du firmament. « Leur éclat propagé à travers l’espace venait, par une dégradation insensible, se fondre dans les ténèbres, et les