Serbes, Croates et Bulgares : études historiques, politiques et littéraires

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Il n’y avait point dans ce temps-là d’éditeurs pour les livres bulgares et les deux frères avaient en vain cherché en Russie le Mécène qui leur assurerait les ressources nécessaires pour éditer les chants nationaux. L'un d’entre eux eut la bonne fortune de rencontrer l’évêque à Vienne, il lui montra son manuscrit. Ce manuscrit était écrit en caractères grecs. Les Phanariotes dénonçaient volontiers aux Turcs les publicistes bulgares comme des agents panslavistes ; pour éviter ce soupçon, nos deux frères avaient imaginé d’employer l’alphabet hellénique. L’évèque consentit à entreprendre à ses frais la publication, mais à condition que l'ouvrage serait imprimé en caractères cyrilliques. Constantin Miladinov se rendit volontiers à ce vœu du prélat patriote et Mgr Strossmayer l’installa chez lui, dans son séminaire de Diakovo; le travail de transcription dura trois mois entiers, et en 1861, le copiste se rendit avec l’évèque à Agram, pour confier le manuscrit à l'impression. L’ouvrage parut en effet. Il forme un fort volume, absolument épuisé depuis longtemps et très recherché des savants. Il porte en tête une dédicace de l'éditeur au noble Mécène.

La libéralité de l’évêque ne s’étendait pas seulement aux Slaves mais à tout ce qui de près ou de loin touchait à leurs intérêts. Je voudrais raconter ici un détail que les biographes du prélat ont ignoré. J’eus l’honneur d’être présenté à Mgr Strossmayer, pendant son séjour à Paris, en 1867. J'avais déjà débuté dans la carrière des lettres ; je préparais une thèse de doctorat sur les apôtres slaves Cyrille et Méthode et, pour un travail aussi nouveau, je ne pouvais guère compter sur un éditeur. Le prélat m’annonça qu'il prenait immédiatement une souscription de cent exemplaires. « Je veux, me dit-il, que vous voyiez notre pays; je veux que vous assistiez à l’ouverture de notre Académie ; ne me dites pas que vos ressources sont trop modestes pour un si lointain voyage ; je mets à votre disposition un crédit illimité pour cette occasion et pour les œuvres que vous pouvez entreprendre dans l'intérêt de notre nation. »