Souvenirs de Russie 1783-1798 : extraits de journal de Mme Leinhardt

2 J. CART

Placée comme elle l'était, dans une famille reçue à la Cour et chez un homme qui occupait une position fort en vue auprès de la souveraine, Mie Lienhardt élait aux premières loges pour être témoin de bien des faits ignorés du public, et si elle relate beaucoup de choses qui, depuis longtemps, sont du domaine de l'histoire, elle les raconte ordinairement d'une manière originale. Ses impressions, tempérées par un Jugement sain, sont vives el nettes. À la vérité, son enthousiasme pour la grande Catherine dépasse un peu les bornes, mais on s'aperçoit qu'elle est comme hypnotisée par les splendeurs de la capitale de l'empire. — C'était, en effet, le moment le plus brillant de ce long règne, et si Mi® Lienhardt n'ignore pas les désordres de la vie privée de l'Impératrice, elle pousse la charité Jusqu'à dire : « Je fais bien peu de cas de ceux qui osent parler des faiblesses de cette grande dame. » C'est la théorie des deux morales. Il

ne faudrait pourtant pas en Lirer une conclusion désavantageuse à.

Me Lienhardt elle-même, dont toute la vie a été infiniment respectable. Mais au xvi° siècle, et dans un cerlain monde, on poussait l'indulgence fort loin.

A en juger d'après son Journal, Mie Lienhardt n'était point une institutrice ordinaire. Nombre de personnages marquants, avec lesquels elle eut l’occasion de se rencontrer, lui témoignaient une grande considéralion, et, quant à ses récits, s'ils sont parfois un peu longs, ils sont si vivants, qu'en les lisant on se croit transporté dans les milieux qui les inspirent. Au reste, il ne faut pas oublier que ce Journal, écrit avec facilité et simplicité, n’était destiné qu'à des parents et à des amis. Dans l'impossibilité de le publier dans son entier, nous avons dû nous borner

excessivement et nous arrêter à celui des épisodes racontés qui nous a,

paru le plus intéressant en même temps que le plus considérable.

Il était naturel qu'en écrivant son Journal, Mi L. entrât dans de nombreux détails sur sa vie d'institutrice dans la maison Czernicheff et sur les mœurs et les coutumes avec lesquelles elle devait se familiariser. Dans le cours des voyages entrepris avec la famille du noble comte, en Autriche et en Italie, elle eut de fréquentes occasions de rencontrer soit des Suisses établis dans ces pays aussi bien qu'en Russie, soit encore des émigrés chassés de France par la Révolution. À Rome, elle vit de près les splendeurs de la cour pontificale. Volontiers, nous aurions fait rentrer ces divers chapitres dans le cadre de notre travail, si ce cadre s'était montré plus élastique. Forcément, nous nous sommes arrêté au chapitre qui nous

a paru le plus important. J. Carr.

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