Souvenirs des campagnes du lieutenent-colonel Louis Bégos, ancien capitaine-adjudant-major au deuzième régiment suisse au service de France

— 417 —

donné, me donna ma pelisse et mon porte-manteau, et m'abandonna seul, sans secours, sur le fleuve gelé, où j'étais menacé à chaque instant de périr de froid ou d’être englouti. Ma position était affreuse : mon misérable conducteur n'écoutait rien et s’éloignait. J'avais beau appeler les passants à mon secours, tous étaient sourds à mes cris de détresse. Mon frère, qui croyait que je l’avais devancé, avait pris les devants sur la grande route, etc’estvainement qu'il m’attendait. Je restai dans cette cruelle position pendant fort longtemps. Je n'avais pas un sol, et, par conséquent, aucun moyen de me tirer de cette situation désespérée. Les officiers et les soldats, qui passaient avec des chevaux, avaient bien d’autres choses à faire qu’à m’écouter : la misère et l’égoisme fermaient tous les cœurs. Je voyais avec angoisse la nuit approcher, ma soif était toujours plus ardente, ma main droite se gelait, ainsi que mon pied gauche; jamais détresse plus horrible que la mienne. Enfin, après plus de deux heures de cris et de supplications, la Providence permit encore qu’un passant eût pitié de moi. C'était un lancier polonais, qui était à cheval; il descendit sur les bords du fleuve et me fit promettre de lui donner une bonne ré-