Souvenirs des campagnes du lieutenent-colonel Louis Bégos, ancien capitaine-adjudant-major au deuzième régiment suisse au service de France

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rôle. Refoulés à plusieurs centaines de pas en arrière, nous nous étions mis de nouveau en ordre de bataille, lorsque je m’aperçus que le portedrapeau avait été blessé et chancelait sous le poids de notre aigle. Je m’en emparai, et cherchai mon frère pour la lui remettre, car je le savais homme à faire son devoir; mais quel fut mon étonnement, quand je vis arriver à moi le capitaine Muller, avec lequel j’avais eu ce duel quelques jours auparavant : « Donnez, capitaine, donnez! me ditil, je vous prouverai que je ne suis pas ce que vous avez pensé et que je sais faire mon devoir. » Il s’empara alors de l’aigle que je voulais remettre à mon frère, et l’élevant avec transport, il dépassa le régiment d’une cinquantaine de pas, en s’écriant avec force : « En avant, le deuxième ! » Le régiment ne reconnut pas l’ordre de son chef, et le capitaine Muller, avec sa taille athlétique, devint un point de mire pour les Russes. Il tomba pour ne plus se relever. Je sentis ma responsabilité : c'était moi qui lui avais remis l’aigle. Par un acte de courage inutile, elle allait tomber entre les mains des Russes, qui, au feu, reprenaient avantage qu’ils perdaient à l’arme blanche. Les balles pleuvaient de tous côtés ; je me décidai à