Un Agent des princes pendant la Révolution : le Marquis de La Rouërie et la conjuration bretonne 1790-1793 : d'après des documents inédits

142 LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

On conçoit combien cette vie agitée et variée avait de charme pour moi et avec quelle curiosité je descendais pour le déjeuner, sûre d'y trouver des nouveaux venus. Tout cela m'occupait plus que la grande affaire qui se faisait et à laquelle je n'étais pas étrangère cependant; car, après avoir veillé à la sûreté de notre hôte, dont je faisais la garde, et brodé des écharpes blanches semées d’hermines et de fleurs de lys, M. de la Rouërie me faisait copier beaucoup de choses. Je ne me rappelle que d’une : c'était la manière dont la coalition éclaterait ; c'était ce que l’on devait faire à Fougères, où le général devait se rendre, la nuit, avec ses gens. Tous ces détails semblaient si nouveaux, cette guerre si chevaleresque, que j'ai eu longtemps ma copie dans la mémoire. Maintenant il n’en reste plus rien; des faits sont venus effacer ce qui n’était qu’un projet.

Le marquis n’était connu que de la famille et, pour ne pas donner des soupçons, on continuait de recevoir les personnes qui avaient l'habitude de venir à Villiers. Quand on ne venait que pour diner, nos hôtes restaient dans leur chambre; mais, quand on venait pour plusieurs jours, M. de la Rouërie se montrait sous le nom de M. Milet, négociant de Bordeaux et compromis dans une affaire de Révolution. Les amis qui venaient le voir, s'ils étaient nombreux, restaient renfermés. Nous eûmes, pendant huit jours, Me de Montigny, qui nous gèna bien. Elle croyait fermement être avec M. Milet et s'intéressait beaucoup à son sort, lui faisant raconter comment il avait été compromis, sans jamais s’apercevoir que jamais il ne parlait de ses aventures de la même manière, attendu qu'il les inventait chaque fois. Je me souviens d’une scène qui me sembla plaisante.

M. de la Rouërie rentra un jour chargé de fleurs