Un Agent des princes pendant la Révolution : le Marquis de La Rouërie et la conjuration bretonne 1790-1793 : d'après des documents inédits

234 LE MARQUIS DE LA ROUËRIE

chez Dubuat : on envoya par là quelques espions; leurs rapports furent unanimes: Chévetel n'y était pas ; on sut, par contre, qu’à la date du 18 il avait pris à Saint-Malo un passeport pour l’intérieur. Lalligand se sentait joué: les quarante-huit heures étaient écoulées et Les « grandes choses » prophétisées ne s’accomplissaient pas! La lettre où il confie au Ministre ses appréhensions est d’une naïveté épique: la trahison de Chévetel lui semble odieuse, maintenant que c’est lui, Lalligand, le trahi. Certaines gens jugent ainsi les faits crimes ou vertus, selon qu'ils leur sont nuisibles ou profitables, et notre homme excellait à cette gymnastique de conscience.

Voilà, écrit-il, en style de mélodrame, voilà deux fois vingt-quatre heures écoulées, point de nouvelles de Chévetel; je vous assure que mes craintes redoublent..… Le dépôt de confiance qui réside en moi me fait un devoir de prendre toutes les précautions, soit pour surveiller les intérêts de la République, qui peuvent se trouver compromis par la plus infâme trahison, soit pour mettre ma conduite à l’abri de tout soupçon; enfin ma position est cruelle : je crains que Chévetel ne soit pas de bonne foi. Que cette lettre reste entre vous et moi... Que faire de Dubuat? Son château est publiquement le repaire de tous les coquins; nous sommes bien tentés, si rien ne paraît d'ici vingtquatre heures, de le faire arrêter, ainsi que Desilles, son voisin. Nous découvrirons ou la mort ou la trahison".

1. Archives du Département des Affaires étrangères, 1409.