Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues, стр. 285

VIE LITTÉRAIRE 285

occulte et dangereuse; ils finirent par dénoncer à voix haute l’aventurier, à voix basse l’espion (1). L'importance même qu'il se donnait accroissait le vide autour de lui. Les Saxons évitaient de le voir, partagés qu'ils étaient entre le désir d'affirmer leur indépendance et la crainte de déplaire à Bonaparte. La cour électorale le trouvait plus qu'importun, et, à bout de moyens diplomatiques pour l’éloigner, le faisait par-dessous main congédier de l'appartement où il élaborait si commodément ses correspondances. Aussi accusait-il en Russie l'absence complète d’égards du gouvernement saxon comme un motif permanent de souhaiter son départ.

En attendant, une autre collaboration, d’un genre tout particulier, servait à expliquer la protection dont on le couvrait contre la France.

Il avait recu, au commencement de 1803, le titre de correspondant du ministère de l'instruction publique, et il prit fort au sérieux ses fonctions. Ce gentilhomme abordait avec plaisir et, il faut le dire, avec une certaine compétence dûment acquise, un ordre de questions fort étranger d'ordinaire à sa caste et fort dédaigné d'elle. Dans tout philosophe selon la formule du dix-huitième siècle il y a un pédagogue, et d’Antraigues se souvenait d'avoir étudié et admiré l'Émile, soit qu'il exposât ses idées générales sur l'instruction, soit qu'il observât les méthodes d'enseignement en usage autour de lui, soit qu'il recrutàt des professeurs en Allemagne pour son pays d'adoption. Il était jugé assez fort sur ces matières et pouvait prétendre, sans paraître mentir, que l'empereur

(1) « C’est au seul d’Antraigues que les Russes s'adressent pour obtenir quelque chose de leur gouvernement, et il exerce ici un véritable despotisme. » (De Moustier à Talleyrand, 31 mars 1805. —AF)