Un agent secret sous la révolution et l'empire : le Comte d'Antraigues, стр. 297
VIE DE SOCIÉTÉ ET DE FAMILLE. 29%
seulement transmeftait de précieux renseignements, mais évoquait sans embarras, en passant, de tendres et chères images. En réponse à je ne sais quels reproches, elle répliquait : « Auriez-vous osé me gronder en 1788? » Ou bien elle laissait tomber au milieu de quelque grave dissertation un : « Je ne sais si je te développe bien mes idées», qui trahit pour nous l'intimité d'autrefois. De son côté d’Antraigues la ramenait par l'imagination dans ce logis de la rue de Miromesnil où ils s’étaient connus. Évidemment la pensée de cette femme distinguée faisait tort dans son esprit à cette autre femme qui portait son nom et qui, parée du cordon de Saint-Michel, ne lui offrait plus qu'une beauté flétrie, un esprit vulgaire et un caractère difficile. Alors, le dos tourné à sa maussade et impérieuse moitié, il parlait à cette fidèle amie de ses misères présentes ; illui donnait des conseils sur l'éducation d’un fils qu'elle avait eu d'un premier mariage; il lui écrivait des pages éloquentes et senties comme celle qu'on va lire :
« Je vous plains de toute mon âme d'être obligée de craindre la solitude. Vous trouverez à présent peu de personnes qui vous valent, et par conséquent la société vous paraîtra bientôt aussi insipide qu'elle doit l'être à toute personne qui a un cœur sensible et qui avoue n’en avoir pas perdu le souvenir. Croyez-moi, Victoire, croyez-en un homme qui ne cessera de désirer votre bonheur alors même que vous lui ôlez l'espoir d'y contribuer, ménagez-vous tous les jours des instants de solitude où votre àme, votre cœur et votre esprit puissent vous retrouver. Ne craignez pas les regrets du temps passé; vous leur trouverez mille fois plus de charmes qu'aux distractions présentes, et c’est ainsi que vous nourrirez et conserverez cette sensibilité qui fait le charme de la vie.
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