Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

90 UN HIVER À PARIS.

devait se montrer dans le rôle de Clytemnestre, de l’Iphigénie de Racine. On s'attendait à des cabales pour ou contre la débutante, plutôt pour ou contre son professeur, Mile Raucourt. Tout a fini par des applaudissements universels.

Afin d’être présent à l’ouverture du bureau, — elle a lieu à cinq heures, — j'avais dîné au Palais-Royal, chez le restaurateur Robert, avec un aimable Béarnais. Au sortir de table, nous avons trouvé au guichet une queue si longue et si compacte, qu'il a fallu songer à un expédient pour entrer. En jouant des coudes, nous nous sommes frayé un passage jusqu'à la porte principale, celle devant laquelle les voitures déposent les abonnés des loges et les personnes munies de billets pris d'avance. Nous étions là, serrés entre les sentinelles gardant l'entrée etles gens qui nous poussaient, quand une sorte de commissionnaire assez bien vêtu vint offrir des billets à un prix triple de celui du bureau. Sous peine de suffocation, il fallait prendre un parti; nous nous résignâmes à passer par ses conditions. Naïvement, nous nous figurions être les premiers dans la salle ; une foule de gens plus au Courant que nous des petites entrées nous avaient devancés. La rare beauté de Mlle Georges a été à peu près ma seule compensation pour les bourrades et le tapage que j'avais endurés, car son jeu n’a été qu’un pastiche exact de celui de Mile Raucourt. Mais, dès la première scène, son aplomb et son assurance ont conquis un public assez mal appris. Est-ce bien une preuve de talent ? avant la Révolution, avait été frappée de la beauté et de l’intelligence dramatique d’une enfant qui jouait des bouts de rôles sur la scène locale. Elle réussit à se la faire confier par le père; on sait

qu'entre ses mains la fillette est devenue une reine de la tragédie et du drame.