Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 91

Talma a été admirable dans plusieurs endroits du rôle d'Achille ; je ne puis dire qu’il ait été parfait. Saint-PrixAgamemmon à bien joué, tout en prenant trop souvent le ton « précheur ». C’est peut-être Mlle Fleury (1)-Eriphyle qui a le mieux soutenu le caractère tragique ; sa manière de dire n’a cependant pas été exempte de ces brusques élévations et abaissements de ton, de ces accélérations et ralentissements de débit qui me déplaisent toujours.

Le lendemain, au même théâtre, quelques comédies m'ont procuré plus de plaisir réel que l'Iphigénie. J'ai surtout applaudi : le Naufrage, ou les Héritiers (2). Baptiste cadet y avait un rôle de vieux domestique : jamais je n’ai vu personnifier avec autant de naturel et de finesse le niais méchant. Get excellent acteur m’a fait comprendre l’enthousiasme de Platon pour les créations d’Aristophane. Jusque dans sa façon de marcher, de remuer les jambes, Baptiste était d’un comique hors ligne. Dugazon et Michot (3) se sont montrés de vrais « loups de mer », et Mile Gros une « jeune fille très naïve ».

Le public était clairsemé ; en général, j'aime peu les salles vides, mais, après la foule et la chaleur d’Iphigénie, j'ai été fort aise d’entendre tranquillement un jolie comédie. La disette de spectateurs n’a, du reste, pas influé sur le jeu des comédiens. Ils sont habitués à ces alterna-

(4) Mile Fleury passait pour supérieure dans les rôles de princesses. Son talent faisait fermer les yeux sur sa figure. (Annales dramatiques.) — Retirée en 1807, elle mourut en 1818.

(2) Les Héritiers, ou le Naufrage, d'Alexandre Duvaz. Cette intéressante pièce en un acte et en prose avait été jouée, pour la première fois, au théâtre de la République le 7 frimaire an V. (27 novembre 1796.)

(3) Gourgaud, dit Dugazon, qui remplaçait, à certains égards, le fameux comique Préville, retiré depuis 1786, avait débuté au Théâtre du Marais, sous les auspices de Beaumarchais, dans. Figaro. Michot brillait par le naturel.