Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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mestique était vêtu de même, si ce n’est que son habit était gris. De loin, cela ne faisait aucune différence avec le costume des maïîtres. On me dira peut-être qu'il ny a là qu’une reproduction de ce qui se voit journellement ; tout le monde, en effet, des maîtres aux valets, s’habille aujourd’hui de même. — Il est vrai! Mais sur la scène, où l’on doit rechercher l'effet pittoresque, il faut se garder de copier servilement la réalité. — M. Picard (1), auteur et acteur, dirige le Théâtre Louvois. Une de ses pièces, La pelite ville, est le succès du jour, et je compte la voir prochainement. Mais, si aimé que soit Picard, le public parisien n’a pas encore perdu la bonne coutume de critiquer ses favoris, et il vient de siffler outrageusement une des récentes productions du directeur de Louvois : la Saint-Jean, ou les Plaisans. Le parterre a trouvé ces « plaisans » si déplaisants, qu’il a fallu baisser le rideau avant la fin de la pièce; on appelle cela « un enterrement définitif ». Le Journal de Paris donne à ce propos un impromptu assez réussi :

Quand on est chéri d’Apollon, Pourquoi prendre un nouveau patron? L’orage qui fond sur ta tête,

Pour punir ce premier écart,

Te prouve assez, pauvre Picard,

Que « la Saint-Jean » n'est pas ta fête.

Le Mari ambitieux a été suivi du Portrait de Michel Cervantès, pièce d’intrigue, pleine de péripéties amusantes. Je n’ai pas trouvé qu’elle fût jouée aussi bien que je m'y attendais, d’après ce que l’on m'avait dit de la troupe de Picard.

(4) Picard (Benoît), un échappé du barreau, ami d’Andrieux et de Collin d'Harleville, quitta le théâtre en 1827 pour entrer à l’Aca-

démie française. Pétillant d'esprit, il avait, de plus, une entente parfaite de la scène.