Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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Mais je ne veux pas m’étendre davantage sur le Théâtre Louvois, avant d'avoir vu La petite ville.

Je passe aussi, sans insister, sur une soirée à Feydeau, la première qui m’ait mécontenté : une opérette, le Traité nul, était assez réussie comme libretto, mais la musique de Gaveaux (t), un des chanteurs du théâtre, est insignifiante. Jeanne, que l’on donnait en même temps, est absurde comme texte; le talent de Méhul et la bonne volonté des artistes n’en ont rien pu tirer. :

Si Le parterre de Louvois fait preuve de sens en sifflant la Saint-Jean, on ne pourrait en dire autant du parterre parisien en général. Il s’est étrangement perverti depuis dix ans. Jadis le parterre, surtout celui des Français, fai-

sait en quelque sorte l'éducation des auteurs et des comédiens ; il discernait les finesses comme les fautes et savait manifester son jugement avec mesure et discrétion. Pour un observateur, souvent, l'attitude de ce parterre n'avait pas moins d'intérêt que la pièce même ; aujourd'hui, le parterre est envahi par une foule grossière, malpropre, dépourvue de goût et de sentiment, faite pour détruire tout art théâtral. On n’applaudit, avec tapage et violence, que les acteurs qui se démènent en hurlant. Ajoutez le bruit incessant des conversations particulières et les interpellations entre le parterre et le public des loges et des galeries, lequel se fait un plaisir d’agacer le parterre. Il est impossible à un spectateur

(1) Gaveaux (Pierre), excellent musicien et chanteur agréable à Favart, ne pouvait lutter, à Feydeau, avec Elleviou et Martin, depuis que sa voix était devenue sourde et nasillarde. Mort fou en 1825, laissant une trentaine d’opéras-comiques dans le style facile en vogue à l'époque. On distingue dans le nombre Léonore, ou l'Amour conjugal, 3 actes (1798), le chef-d' œuvre de Gayeaux qui a fourni le sujet du célèbre opéra Fidelio et, dans un genre très différent, Mon-

sieur Deschalumeaux (1806), dont le succès invraisemblable doit être attribué en partie à l'amusant livret de Creuzé de Lesser.