Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

|. Spies

SOUS LE CONSULAT. 95 désireux d'écouter de rester au milieu de ce monde bruyant.

Si l’oreille est choquée par des réflexions sottes ou triviales, la vue et l’odorat ne sont pas moins offusqués. Il est aussi crispant de voir des ahuris écoutant, bouche béante, des tirades ou répliques qu'ils ne comprennent pas, qu'odieux de percevoir les effluves de voisins qui vous coudoient, qui allongent leurs chaussures crottées sur les banquettes et qui mélangent la senteur des comestibles tirés de leur poche à l'odeur âcre d’eau-devie, de tabac et de bière dont ils sont imprégnés. — Car il faut vous apprendre qu'il est de mode, parmi les jeunes gens et les militaires, de fréquenter des établissements décorés du nom flamand d’ « estaminets », dans lesquels on s’abreuve de mauvaise bière, au milieu d’une fumée de tabac à couper au couteau. Ce qu’il y a de plaisant, c’est que propriétaires et garçons de ces « estaminets » affectent des allures flamandes et prétendent parler un idiome dont ils ne savent pas un traître mot.

Une autre manie des gens du parterre, — assis partout maintenant : autrefois on ne s’assevait qu’au Français, c'est l'habitude de faire, avec leurs pieds, leurs bâtons etleurs sifflets, un tapage infernal avant lelever du rideau. Ils ébranlent à coups de gourdin les bancs placés devant eux, sans se soucier de vous secouer brutalement. Du moment qu'un de ces drôles ne vous louche pas de sa trique, il trouve impertinent que l’on se rebiffe et cherche querelle à la moindre observation. Se réfugie-t-on à l’orchestre, au balcon, à l’amphithéâtre, aux galeries, — où les places sont fort chères, — on peut espérer quelque tranquillité ; mais là, autres ennuis ! D'une part des essaims de « filles », allant, venant, s’assevant, se levant, Jacassant, sans tenir aucun compte des « chuts » répétés ;