Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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d'autre part, des Anglais se carrant aux meilleures places. Ces insulaires ne s’occupent guère de la pièce; ils passent leur temps à se communiquer bruyamment leurs impressions de touristes, ou bien ils assassinent leurs voisins de questions saugrenues sur tel ou tel minois remarqué dans une loge ou sur la scène. Aux réponses qui leur sont faites, j'estime que l’on se moque d’eux à dire d'expert! Faut-il parler d’une autre engeance, celle des individus entrés avec des billets gratuits, qui se croient tenus d’applaudir sans rime ni raison. Et ce n’est pas simplement de leurs mains qu'ils manœuvrent; ils posent leur chapeau à côté d’eux, mettent leur gourdin entre les jambes et « travaillent » des pieds et des mains, jusqu’à ce que le public exaspéré leur impose silence. Ce personnel intolérable doit compter pas mal d'anciens « tape-dur », aujourd’hui désœuvrés dans la rue. Enfin, pendant les entr’actes, à peine la dernière note, le dernier mot sontils lancés, que l’on est assourdi par les glapissements des vendeurs de journaux et livrets, des loueurs de lorgnettes, par les cris : Orgeat! Limonade! Glace! Marchand de lorgnettes ! — qui ne cessent qu’à l'instant même où la toile se relève.

Comme contraste à ce tableau réaliste, voulez-vous la description d’une « assemblée » splendide chez Récamier, le banquier? De minuit à trois heures, j'ai joui là de tous les raffinements du luxe élégant.

L'hôtel (1) n’a pas de vastes proportions, mais il à très bon air, au fond de sa cour encadrée par de belles constructions. La nuit dernière, il s’est trouvé trop étroit pour le beau monde parisien, pour le corps diplomatique, et les étrangers de distinction qui affluaient.

(4) L'hôtel situé Chaussée d’Antin a été démoli il y a cinq ans et remplacé par une belle maison de rapport portant le n° 66.