Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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pour les grands bals; on se le dispute à prix d'or : quatre heures de présence, à partir de minuit, lui sont payées jusqu’à douze louis.

J'ai eu le plaisir de retrouver à cette « assemblée » beaucoup d'anciennes relations, entre autres le chanteur Garat (1) et le banquier Tourton. — Vous vous souvenez peut-être d’avoir vu autrefois, chez Tourton, un M. Manuel, précepteur dans sa maison? Le précepteur est devenu « citoyen français » et procureur de la commune de Paris. Médiocrement rassuré sur la valeur utile de cette relation, Tourton a jugé prudent de passer la frontière avant d’avoir à se débattre contre un mandat d'arrêt. Revenu d’émigration, ce financier vit en garçon, mais sur un fort bon pied. Je n'avais pas réussi à le joindre, parce qu'il reçoit le matin, de dix à onze, contrairement aux habitudes parisiennes. Vous savez que je me réserte mes matinées. On peut aller lui demander à déjeuner, sans invitation, ainsi que cela se pratiquait chez les financiers de l’ancien régime. J'ai aussi fait la connaissance du peintre Gérard, bel et aimable homme; du général Normand (2), non moins beau cavalier, qui s'occupe toujours de littérature allemande; de Camille Jordan, dont les écrits ne sont pas inconnus chez nous et qui est au courant de notre mouvement intellectuel. Son affabilité doucereuse m'a un peu surpris chez un Français. Il ne manquait pas de jeunes généraux. Règle générale : quand on est en présence d’un personnage jeune, peu recherché dans sa mise, de physionomie sévère,

(4) Garat, étonnant chanteur et merveilleux professeur au Conservatoire, avait trente-huit ans : son talent était dans son éclat. Mais la situation de son oncle, le sénateur, l’obligeait à une sorte de retraite: il ne se faisait plus entendre qu'à des auditeurs rares et privilégiés.

(2) Voir lettre XVII, du 7 janvier 1803.