Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

102 UN HIVER À PARIS SOUS LE CONSULAT.

d'air suffisant, on est à peu près certain d’avoir affaire à un général. Le commandant en chef de Paris, qui se trouvait là, est lui-même jeune (1); il paradait ainsi en simple frac bleu, gilet et culotte bruns, au milieu des plus éblouissantes toilettes. Dans le monde, du reste, le grand uniforme n’est guère porté que par quelques généraux, anciens émigrés, comme fait mon vieil ami Valence (2).

Vers deux heures, la salle à manger contiguë au salon s’est ouverte. Le souper chaud était servi sur une immense table admirablement garnie : poisson, gibier, fruits, vins, sucreries, tout à profusion et de qualité exquise. Malgré les dimensions de la table, les dames n’ont pu toutes s'asseoir en même temps. Il a fallu trois fournées successives; la dernière n’a été ni la moins Joyeuse ni la moins bruyante. Après avoir bien contemplé ces magnificences, je me suis retiré, me bornant à avaler un petit pot de crème et un verre de champagne que voulut bien m'offrir de sa belle main la maîtresse de la maison.

(1) Junot. Le futur duc d’Abrantès avait trente et un ans à ce moment. (2) Le général Cyrus-Marie-Alexandre de Timbrune, comte de Valence, lieutenant de Dumouriez à Nerwinde et émigré en même temps que lui; rentré en France à la fin de 1799. Il avait épousé, avant la Révolution, Mile de Genlis. Mme de Montesson lui donna sa petite-nièce pour dissimuler, a-t-on dit, les relations qu'elle-même aurait eues avec lui. Cette circonstance explique le legs universel qu'elle fit au général de son immense fortune en 1806.