Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

VIII

2 décembre,

Les gelées nocturnes ont enfin eu raison d’une boue abominable, conséquence de quelques jours de pluie. On peut de nouveau tenter des courses pédestres lointaines ; car, si bon marcheur que l’on soit, on se décide difficilement à patauger, des heures durant, dans les rues pleines d'immondices et couvertes d’une épaisse crotte gluante. Outre la fatigue que l’on éprouve et le temps que l’on perd à se frayer un chemin le long des maisons, la mauvaise odeur qui se dégage de la boue piétinée provoque des nausées. C’est la première fois, dans mes pérégrinations à travers l'Europe, que je m'aperçois que j'ai un estomac et que je comprends la sensation qualifiée « mal au cœur » par les Français.

La nuée de mendiants qui encombrent les rues n’est pas moins faite pour donner ce « mal au cœur ». Par le mauvais temps, il faut, sous peine de se noyer dans une mer de boue ou d’être roué par les voitures, s’aplatir contre les façades et percer des haies de malheureux adossés contre les murs. Ces pauvres diables n’apostrophent pas avec insolence ; ils implorent la charité avec des intonations et des lamentations qui m'émeuvent; d'autant plus que, dans le nombre, il y a beaucoup de