Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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jeunes gens estropiés à la guerré. Ceux qui me font le plus pitié sont les indigents ayant du linge fin en lambeaux et des vêtements râpés jusqu’à la corde, mais dénotant une aisance antérieure. Ce sont ces derniers surtout que l’on trouve au long des maisons; généralement, ils ne prononcent pas un mot, se découvrent et vous regardent d’un air honteux et triste, avec un soupir qui semble dire : Voyez où j'en suis! Combien n’y a-t-il pas là de rentiers, de négociants, de nobles ruinés qui sont éclaboussés par le luxe insolent de leurs anciens commis ou laquais roulant carrosse.

Les mendiants en haïillons, quand on a donné à l’un d'eux, vous poursuivent avec des supplications et des gémissements auxquels je ne sais pas résister. Sur la place du Louvre, devant le musée, — j'y passe journellement, — j'ai fini par conclure une sorte d'accord tacite avec les misérables qui fondent de tous côtés sur les étrangers : chaque fois, je fais l’aumône à un autre déguenillé et j'arrive ainsi à ne pas être trop harcelé par ses compagnons d'infortune. Hier, me rendant à pied au Jardin national des plantes, j'ai passé par des ruelles où la misère, la saleté, l’impudeur des passants sont telles, que rien que d’y songer, il m'en vient des nausées. L’impression que j'ai ressentie ne s’est effacée qu'après plusieurs tours dans le beau Jardin national.

La sollicitude patriotique de quelques savants a singulièrement contribué à embellir cet établissement. Le soin et la propreté avec lesquels il est tenu font honneur à la direction. Ce n’est pas seulement le Jardin qui a été agrandi et enrichi de plantes cultivées dans des serres spéciales; les collections scientifiques et les laboratoires ont été augmentés et organisés suivant un plan méthodique. L’excellent Lacépède avait réussi à faire adopter