Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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comique achevé, sans ombre d'exagération. Le malicieux auteur, Picard, tire le meilleur parti de sa tournure ingrate (1) pour son personnage de « bourgeois processif ». Mmes Léger et Mollière (2) sont des commères absolument nature; aucun rôle n’est sacrifié; tout est mené avec un entrain et un ensemble supérieurs à ceux du Théâtre-Français. Vive Picard et son théâtre!

Je ne suis pas moins enchanté d'une représentation à Feydeau. Dans Adolphe et Clara, ou les Deux prisonniers, Mme Saint-Aubin (3) et Elleviou m'ont procuré le plaisir le plus raffiné que l’on puisse goûter à la scène. Leur grâce, leur distinction, leur naturel sont irrésistibles, et leur méthode, comme chanteurs, est précisément celle qui convient à la fine musique de Dalayrac. La basse Chénard (4) et le comique Dozainville (5) complètent cet ensemble irréprochable. Je me propose de ne pas man-

(4) Picard était spirituel comme un bossu.

(2) Mmes Léger et Mollière ont joué plus tard avec succès, la première : les Mères et les Escarbagnas aux Français et à l'Odéon: la seconde : les Soubrettes à l'Odéon et au théâtre de Cassel, capitale de l’'éphémère royaume de Westphalie.

(3) Mme Saint-Aubin (Jeanne-Charlotte Schræder) imprimait le cachet de la perfection à tous les rôles qu'elle abordait. Elle avait débuté à la Comédie-[talienne (Opéra-Gomique) en 1786, avec un succès qui devint prodigieux dans le Prisonnier de Della Maria en 1796: sa réputation n’avait fait que croître depuis. Dégoûtée des intrigues de coulisses, cette excellente actrice a quitté la scène en 1808; elle est morte en 1850, à quatre-vingt-six ans.

(4) Chénard n'était pas sans une culture intellectuelle variée. Lié avec le peintre Gérard, il possédait une petite collection de tableaux dans laquelle on remarquait une Peste, peut-être le premier essai de Gérard à quatorze ans, et une esquisse de la Phèdre de Guérin. Belle voix, bon musicien, ayant de l'aplomb, Chénard, après avoir débuté à l'Opéra en 1782, était entré à la Comédie-Italienne (OpéraComique). Gérard a fait son portrait.

8) Dozainville, instruit et spirituel, avait succédé à Trial en 1795. Dés son début (4799), le publie avait applaudi la façon dont l’acteur interprétait-les personnages de Niais: dans Adolphe et Clara, 1 se surpassait dans un rôle de « niais sensible et bon ».