Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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«en uniforme » à la grande parade qui précéderait l’audience ; ses instructions données, il nous congédia. Pendant l’audience, nous avions fait porter nos cartes chez les quatre préfets du palais et chez Mme Talleyrand, une certaine Mme Grant (1) que le ministre vient d’épouser. Dans la soirée, la série de mes présentations a été complétée chez les deux autres consuls et chez les ministres par le dépôt de ma carte, formalité indispensable si l’on veut être admis à leurs réceptions. — Jeudi prochain, il faudra me faire présenter à Mme Bonaparte ; et dimanche, pendant l'audience du Premier Consul, ma carte devra être remise préalablement chez sa femme.

Je reprends mon bulletin accidentellement interrompu.

Dimanche matin, à onze heures, Lucchesini m'a emmené aux Tuileries et présenté à Duroc, dont l’appartement, au rez-de-chaussée, était plein d'hommes et de

(1) C'est le 23 fructidor an X (10 septembre 1802) que Talleyrand avait épousé, à la mairie du X° arrondissement de Paris, CatherineNoël Worlée, femme divorcée, depuis le 28 germinal an VI (17 avril 1798) — mairie du Il° arrondissement — d'avec Georges-François Grand ou Grant. Les témoins avaient été Rœderer, l'amiral Bruix, le général Beurnonville et le prince de Nassau.

Ce mariage civil, contracté sous la pression du Premier Consul, qui voulait mettre fin à une situation notoirement irrégulière, a-t-il été précédé ou suivi d'une cérémonie religieuse? On n'en trouve aucune trace dans les registres paroissiaux d'Épinay-sur-Seine, que Talleyrand habitait dans la belle saison, en face de l’église, ni dans ceux de Pierrefitte, limitrophe, ou dans ceux des paroisses parisiennes dépendant alors du X° arrondissement. Néanmoins, si l’on se reporte aux incidents si caractéristiques de la dernière maladie de l’ex-évêèque d’Autun, minutieusement relatée dans la Vie de Mgr Dupanloup, par l'abbé F. LAGRANGE, aujourd'hui évêque de Chartres ; si l’on relève l'épithète deux fois sacrilège appliquée non sans motif par l'écrivain ecclésiastique au mariage de Talleyrand, — épithète évidemment impropre au cas où elle ne viserait qu'une union civile, — on incline à admettre la vraisemblance d'une bénédiction, surprise par l'homme qui a su enjôler de plus fortes têtes que celle d’un prêtre naïf, à peine sorti des persécutions du Directoire .