Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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mandement en Égypte, et les ennuis qui en sont résultés pour lui, lui ont valu une certaine notoriété. Sa tournure n’a rien de militaire. Avec son costume civil, avec son crâne dénudé, dont la base laisse voir quelques cheveux courts et clairsemés, il a l’air d’un financier. Au total, il m'a fait l’effet d’un bon vivant et nous a longuement vanté le merveilleux café, les châles de l’Inde, valant deux mille livres pièce, dont il a fait cadeau à Mme Bonaparte. Il va occuper le poste de gouverneur de Milan. Un préfet d’Aix-la-Chapelle tranchait, par son air réservé, avec l’animation des autres invités. Garat, qui ne chante plus que dans quelques salons privilégiés, depuis que son oncle, celui que l’on appelle Le Jacobin malgré lui, s’est laissé nommer sénateur, a fait entendre, vers la fin de la soirée, quelques-unes de ses délicieuses chansons espagnoles. Peu de chose à dire de mes soirées au spectacle. A

l'Opéra, lAnacréon de Grétry (1) est un produit bâtard, sec et incolore ; il m'étonne de la part de son auteur. L’Astyanax (2) de Kreutzer vaudrait mieux comme orchestration ; mais Mile Maillard, Layné et Adrien, m'ont ôté tout plaisir par leurs cris. Kléber. S'il le reçut bien, après la capitulation de 1801 et le pourvut d'un commandement profitable, ne serait-ce point parce qu'il se souvenait que la transaction de Menou avec les sections parisiennes, le 12 vendémiaire an IV, avait facilité au général Bonaparte, en nonactivité en ce moment, sa rentrée en vainqueur sur la scène politique, le lendemain, 13 vendémiaire ? Pour être inconscient, le service n’en avait pas moins été rendu « au moment psychologique » de la destinée de Bonaparte consul. Ce sont des circonstances qui ne s’oublient pas.

({) Anacréon chez Polycrate, une des œuvres de demi-caractère que Grétry, impuissant à s'élever jusqu'à la vraie tragédie lyrique, avait introduites à l'Opéra.

(2) Astyanaæ, écrit en 4801, est d’une facture soignée; mais l'ori-

ginalité mélodique de Kreutzer s'y montre moins que dans les œuvres où il ne vise pas au mérite d'harmoniste.