Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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Les gazettes parlent beaucoup du prochain départ pour la Russie d'artistes de tout genre, instrumentistes, chanteurs, danseurs.

Ces commérages viennent sans doute des politesses que les seigneurs russes, en résidence à Paris, — les Demidof, les Dolgorouki, les Diwof (1), prodiguent aux artistes. Ils ont choisi le mercredi pour donner de magnifiques soupers, précédés de séances littéraires et théätrales : on lit des vers, on déclame des scènes de tragédie ou de comédie, on chante des parties d'opéra, on danse méme des fragments de ballet. Tout s’y passe avec une grâce et un bon ton qui font autant d'honneur aux nobles amphitryons qu'à leurs hôtes. Au lieu de conclure simplement de là que les Russes agissent ainsi par vanité et pour faire pièce aux «nouveaux riches », peut-être même au gouvernement, on leur prête l'intention de débaucher les artistes et de les entraîner à Pétersbourg. Les journaux citent une foule de gens, — Garat, entre autres, qui n’ont jamais songé à quitter Paris. Mais Rode (2), le célèbre violoniste, ira certainement cet hiver en Russie ; les amateurs parisiens, qui apprécient son rare talent, redoutent que l'accueil flatteur que l’on fera à ce virtuose aussi aimable qu'il est habile ne soit de nature à le reteair là-bas.

(4) Dans ses Souvenirs, Mme Vigée-Lebrun parle aussi avec gratitude de l'accueil qu’elle a reçu de ces trois familles, pendant son séjour en Russie. Elle a peint le portrait de Mme Demidoff, née Strogonoff, à qui l'on avait fait faire un mariage d'argent.

(2) Rode (Pierre), né à Bordeaux en 17724, le plus brillant élève de Viotti. avait eu un succès prodigieux aux concerts donnés, en 1801,

par la belle cantatrice Grassini, en exécutant son septième concerto inédit.