Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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Bonaparte allait aborder son nom, son pays, etle Premier Consul la saluait d’une inclination de téte avant de lui parler. Il était arrivé à la troisième dame, quand Mme Bonaparte entra, escortée par deux autres petits préfets. Elle commença le tour du salon, et comme elle était plus brève que son mari dans ses propos, elle ne tarda pas à le rejoindre. Elle m’a paru plus âgée et plus maigre que je ne croyais; elle a montré beaucoup de politesse et de prévenance, — plus peut-être que ne l’exigerait sa situation. Du moins c’est mon impression, à moi qui me rappelle l'avoir vue jadis dans ce méme palais, suivant la Reine en qualité de demoiselle d’honneur avant son mariage avec le malheureux général Beauharnais. Il est vrai que Marie-Antoinette avait dans sa personne, dans sa physionomie, dans ses manières, le plus rare et le plus heureux mélange de grâce et de majesté. Les façons de Mme Bonaparte ont le cachet de l’ancienne Cour ; sa fille, Mme Louis Bonaparte, qui, sans être belle, ne manque ni de charme ni d’aménité, a moins d'abandon. Mme Bonaparte portait une toilette du matin en satin blanc, garnie de larges dentelles; dans ses cheveux chätain foncé, une sorte de diadème à trois rangs de pierreries, au milieu desquelles ressortaient trois superbes camées antiques. Elle a causé assez longuement avec les Russes et les Polonaises qui se sont mises en frais pour elle; mais il était amusant d'observer que les sourires les plus gracieux, les mines les plus séduisantes allaient à l'adresse du Premier Consul. Quand il approchait, les plus belles embellissaient, et les plus impressionnables, surtout parmi les Polonaises, avec leur tête penchée d’un petit air langoureux, leurs grands yeux clairs et expressifs fixés alternativement sur le héros ou levés au plafond, élaient charmantes. Pour sa femme, les physionomies 9