Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT., 131

arts, il n’y a pas de cohue, et leurs dîners ne sont pas d’interminables mangeries.

En dehors du monde étranger, je ne retrouve jusqu’à présent ce savoir-vivre que chez le banquier Schérer, l'associé de Rougemont. Son installation parisienne n’est pas moins confortable que n’était sa maison de Lyon (1), et sa famille continue à partager ses goûts intellectuels. M. Schérer a une passion peu commune parmi les richards actuels : il aime les beaux livres; sa bibliothèque contient les éditions de Bodoni, Baskerville, Didot, et ses portefeuilles renferment de belles gravures dont beaucoup avant la lettre. Sa belle-fille, Mlle Gauthier, une des bonnes pianistes de Paris, nous a donné, pas plus tard qu'hier soir, une séance musicale avec le concours de l'excellent corniste Duvernoy (2) et du harpiste Dalvimare (3). Nous avons eu là de véritable musique de chambre : virtuoses hors ligne, sans accompagnateur bruyant ou prétentieux; morceaux choisis avec goût, —

(1) Reïchardt avait connu la famille Schérer à Lyon, pendant un voyage qu'il fit en France en 1792.

(2) F. Duvernoÿ avait un beau son et une exécution très nette. Mais son système de cor mixte, qu'il a enseigné au Conservatoire. bornait l'étendue de l'instrument à un petit nombre de notes et donnait forcément à sa manière une certaine monotonie. Bonaparte goûtait particulièrement le talent de cet artiste.

(3) D’Alvimare, d’une famille distinguée de Dreux, était né avec des dispositions pour le dessin et la musique que sa famille sut cultiver. Entré dans les gardes du corps et ayant échappé au massacre du 10 août, par le dévouement d'une concierge, il dut se cacher sous un nom d'emprunt et se vit porté sur la liste des émigrés. Son crayon le fit vivre jusqu'au moment où il fut rayé de la liste. Pendant le Consulat et l’Empire, son talent de harpiste et la distinction de ses manières lui ont valu une situation brillante et de hautes amitiés. Un retour de fortune ayant rétabli ses affaires, il se retira à Dreux en 1812; il est mort à Paris en 1839. Contrairement à ce que l’on a dit, d'Alvimare n’a jamais cherché à faire oublier sa carrière artistique; le dessin ou la musique n’ont pas cessé d'occuper ses loisirs. (V. Jar, Dictionnaire biographique.)