Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

132 . UN HIVER A PARIS

notamment de jolis duos harpe et cor, — et pour compléter le programme, des airs français et italiens fort bien dits par un amateur lyonnais. Une fois de plus, j'ai constaté combien la musique apporte de vie et de liant dans une réunion. Nous n’étions ni trop, ni trop peu nombreux, les invités étaient gens aimables et spirituels ; cependant la conversation se traînait, les tables de bouillote et de whist ne suffisaient pas à lamusement. Tout à coup, les premiers accords se font entendre et ce monde languissant se réveille. L'intérêt, l'animation croissent de minute en minute; c’est_avec enthousiasme que lon applaudit le dernier morceau de harpe, une marche. En commençant, Dalvimare a joué comme si l’on entendait. dans un extrème lointain, une musique militaire ; progressivement, il est arrivé à une sonorité étonnante, — il est vrai que sa harpe sort des ateliers Erard; — puis. le son à diminué insensiblement pour finir par ne plus être qu'un murmure, sans qu'il m’ait été possible de saisir exactement l'instant où il s’est arrêté.

En fait d'autre musique, j'ai entendu l'OEdipe (1) de Sacchini à l'Opéra. Cette noble partition a été outrageusement interprétée, et le public, anglais en majorité, s’est montré si bruyant, si inattentif, qu'il ne m'a pas moins crispé que n'ont fait les chanteurs. Inutile de dire que le silence s’est rétabli pour le ballet.

Au Théâtre Feydeau : Les deux journées (2) de Chérubini m'ont procuré une excellente soirée : musique gracieuse

(4) OŒEdipe à Colone, opéra dans lequel Sacchini approche parfois du sublime de Sophocle, était écrit dès 1785. Par suite d'intrigues, la partition ne parut à l'Académie royale de musique qu'en A78T, six mois après le décès de l'artiste, mort de chagrin, à cinquante-deux ans.

(2) Cet opéra-comique datait de 1800. Il avait le plus grand succès et le plus mérité; on le représenta plus de deux cents fois.