Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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mon temps. un dernier mot sur deux soirées officielles : l’une chez le consul Cambacérès, l’autre chez le ministre de la guerre Berthier.

Berthier (1) est un vrai Français par l’éducation et les manières. Il n’est pas de haute taille, mais il a dans la tournure quelque chose de cette ancienne désinvolture que je ne retrouve chez aucun de ses collègues du ministère. Il s'exprime bien et a rempli de la meilleure grâce son rôle de maître de maison, sachant s'occuper de chacun. C’est le seul ministre ayant les cheveux taillés à la Titus; si cette coiffure sied à son visage, elle cadraiït mal avec son magnifique costume brodé. Au surplus, la cinquantaine, dont il approche, lui fera bientôt quitter une mode juvénile.

Cambacérès, assez grand et puissant, paraît avoir une soixantaine d'années (2); sa physionomie fine et avisée est bien celle d’un personnage qui a su se tirer d’affaire contre vents et marées. Dans son costume de velours bleu chargé de broderies, avec ses longues manchettes et son ample jabot de dentelle, sa tête frisée et poudrée, il n'a rappelé les vieux portraits d’hommes d’État fran-

(1) Berthier avait exactement quarante-neuf ans.

Mme d’Abrantès le traite avec infiniment moins de bienveillance : « Il était petit de taille, dit-elle, mal bâti, sans être cependant contrefait, ayant une tête un peu trop forte pour son corps, des cheveux crépus plutôt que bouclés, d’une couleur qui n'était ni noire ni blonde; des yeux, un nez, un front, un menton, tout cela à sa place, formant un ensemble qui n’était pas beau; des mains naturellement laides et qu'il rendait effroyables, en rongeant continuellement ses ongles, au point d'avoir les doigts toujours saignants; des pieds à l'avenant. excepté qu’il n’en rongeait pas les ongles. Ajoutez qu'il bredouillait fort en parlant et faisait, non pas des grimaces, mais des mouvements tellement singuliers, par leur vivacité, qu'il en était fort amusant pour ceux qui ne prenaient pas un intérêt direct à sa dignité. »

(2) Cambacérés est vieilli de dix ans; né en 1753, il n'avait que quarante-neuf ans,