Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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çais. Son langage est circonspect et grave; il n’est pas facile de lui poser des questions; il y coupe court adroitement. Sa réception a été des plus nombreuses. De neuf à onze heures, un millier de personnes ont défilé dans les dix ou douze pièces qui composent son appartement et sa bibliothèque (1) : personnages civils et militaires en grand costume, diplomates avec leurs nationaux, femmes en toilette; c'était une procession sans fin. Debout dans le premier salon, Cambacérès disait un mot à chaque arrivant. Deux sortes de chambellans en costume noir offraient le bras aux dames et les conduisaient à leurs fauteuils. Dans plusieurs salons, les fauteuils étaient placés sur deux rangs, en sorte qu'il était assez difficile d'aborder les femmes de connaissance. Je suis donc resté dans le voisinage de Cambacérès, afin d'entendre « annoncer » les visiteurs; cela m’a permis de revoir une foule d'anciennes connaissances. Je me suis ainsi retrouvé en face de Sieyès, en costume de sénateur. Je me le figurais toujours dans son ancienne simplicité philosophique : il paraît vivre maintenant sur un grand pied. Les cancans colportés dans le temps par les gazettes françaises et étrangères sur mes relations avec lui, à Berlin (2), m'avaient déterminé jusqu'à présent à ne pas lui faire de visite. Notre reconnaissance s’est effectuée très convenablement. et il m’a invité d’une façon pres-

(4) Cambacérès habitait l'hôtel d'Elbeuf, place du Carrousel, en face des Tuileries.

(2) Pendant le séjour de Sieyès, en 1798. Reichardt résidait alors à Berlin; ses succès lyriques du moment, comme ses opinions libérales bien connues, le mettaient assez en vue. Bon gré, mal gré, on le tint pour un affidé de l’envoyé du Directoire. Le rôle ne pouvait qu'être déplaisant au maëstro, bien en cour à l’époque et tenant à y rester.