Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. aut d'esprit savaient organiser jadis à l’intention d’un petit nombre de convives triés. Je n’ai retrouvé quelque chose d’approchant que chez Lalande et chez mon vieux compatriote Bitaubé (1). Le bon helléniste et sa digne femme __ Philémon et Baucis — conservent l'habitude de réunir, à leur table modeste, quelques amis des deux sexes, érudits et spirituels. Le projet de remanier le Louvre, afin de donner plus de lumière à la galerie du musée et d'y transporter la Bibliothèque nationale, toujours menacée d'incendie, au milieu des cinq théâtres qui l’avoisinent, a eu pour première conséquence l'expulsion des Bitaubé et des savants ou artistes logés comme eux dans les combles. On a débuté par cette mesure brutale, quitte à réaliser, Dieu sait quand, un projet qui n’est rien moins qu'arrêté. Bitaubé s’est retiré au faubourg Saint-Germain, rue de Vaugirard, quartier excentrique où il me sera difficile de le voir aussi souvent que je le voudrais. Le cher savant a du moins la consolation, bien que les temps soient peu propices aux entreprises de librairie, de surveiller l'impression d’une belle édition de ses excellentes traductions grecques ou allemandes et de ses autres travaux littéraires.

Vous ne vous étonnerez pas que, dans une capitale où se vulgarise le talent du «bien boire », où un luxe de table extravagant semble la préoccupation essentielle de la vanité des « nouveaux riches », une littérature gastronomique ait surgi. J'ai sous les yeux trois livres que j'aperçois, en ce moment, sur {ous les pupitres, sur toutes les tables de salon; les élégantes les lisent avec le même intérêt que les profès ès cuisine. Le premier, la

(1) Bitaubé, helléniste, est né à Kœnigsberg (Prusse), d'une famille de réfugiés. Fixé à Paris depuis 1782 et réintégré dans la qualité de Français, il faisait partie de l’Institut depuis la création.