Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 145

si pénétré de son sujet, qu'il s’élève parfois à cette prose poétique qui me semblait être le privilège de l'Allemagne ; la multiplicité des traductions paraît l’avoir naturalisé ici! C’est surtout à propos du « cochon », précieux quadrupède, d’une importance culinaire inappréciable, que Grimod s’échauffe, sans négliger les égards dus au sanglier, « ce républicain sauvage ». L'auteur de PA/manach sort d’ailleurs de noble souche : fils d’un fermier général dont la table a été célèbre, neveu d’une fourchette illustre tombée au champ d'honneur dans un duel épique avec un pâté de foie gras, neveu d’une charcutière, Grimod était prédestiné à son entreprise. Son « Épître dédicatoire » est un hommage judicieux au fin gourmet : Monsieur d’Aigrefeuille (1), ci-devant Procureur général de la cour des aides de Montpellier, chambre des comptes, ete. ; aujourd’hui premier maître d’hôtel officieux de Cambacérès. A cette table consulaire, on met, en effet, supérieurement en pratique les enseignements des œuvres doctrinales dont je viens de parler. Bonaparte est de cet avis. A l’époque où il dînait encore chez les consuls et chez les ministres, il dit un jour à un étranger : « Si vous êtes petit mangeur, venez chez moi; voulez-vous manger bien et beaucoup, allez chez Cambacérès; chez Lebrun, on jeûne. » — Pour être véridique, je dois reconnaître, après vérification, que Lebrun lui-même donna cet hiver de fort bons diners.

(1) D’Aïgrefeuille, aimable et malin, s’entendait, à l’occasion, à toute autre chose qu'à ordonner et à manger un diner. Il était un vieil ami de Cambacérès, qui fut toujours serviable envers ses compatriotes du bas Languedoc. Avec le maigre de Vieilleville, le gras d'Aigrefeuille formait la garde du corps du second Consul dans ses promenades quotidiennes au Palais-Royal. Le trio a souvent exercé la verve des caricaturistes du temps.

10