Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE.CONSULAT. 133

chanté d’une bonne voix de basse quelques ariettes italiennes, pour lesquelles son mari semble avoir une préférence marquée.

Plusieurs personnages remarquables sont venus se joindre à nous dans la soirée. Entre autres, le célèbre navigateur Bougainville (1), beau vieillard, aimable, ouvert, ayant du franc parler; bien conservé, si ce n’est qu'il a le chef branlant. Nous avons aussi eu Corvisart (2), médecin particulier de Bonaparte, venu dans un équipage à la livrée consulaire : ses façons alertes et vives ne l’empéchent pas de savoir rester politiquement très boutonné. Pour cette fois, ma chronique théâtrale sera maigre.

Après avoir inutilement cherché l’ancien Théâtre de la Cité (3), je me suis borné à aller entendre de nouveau Mlle Georges dans le rôle d’Aménaïde du Tancrède de Voltaire. Son éclatante beauté a brillé de tout son éclat, et son jeu à été beaucoup plus personnel que précédemment, par suite plus naturel et plus entraînant. Cependant je ne l'ai trouvée irréprochable que dans l'expression

peut, croyons-nous, adopter le jugement tout favorable porté sur elle par un judicieux critique (GÉRUSEz, Essais d'histoire littéraire, t. II}, moins accessible à la médisance que le malicieux SainteBeuve. () Né à Paris en 1729, mort en 181{, ayant conservé jusqu'à la fin sa verdeur et son amabilité. Membre de l'Institut, comte et sénateur sous l'Empire. (DE Lévis, Souvenirs.)

(2) Corvisart-Desmarets, né à Drécourt (Ardennes) en 1755; professeur de clinique à l'École de santé depuis 1793.

(3) Le Théâtre de la Cité, rue de la Barillerie, en face du Palais de justice, sur l'emplacement de l’ancienne église Saint-Barthélemy, avait été ouvert, en octobre 1792, sous le nom de Théätre du PalaisVariétés. C'étaient les comédiens des anciennes Variétés amusantes, provisoirement logés au Théâtre du Palais-Royal, qui venaient s’établir dans l'ile, berceau de Lutèce. Malgré sa position centrale, ce théâtre n'attira jamais un courant suivi d'habitants des deux rives; les spectateurs finirent par faire grève, et les comédiens avaient fermé boutique en 1801. L’acteur Baulieu tenta de relever l’entreprise, en 1804; il s’y ruina et se brüla la cervelle.