Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

UN HIVER A PARIS SOUS LE CONSULAT, 157

d’avoir songé à ressusciter et à imposer au monde officiel des modes dispendieuses, au moment même où il pousse de toute façon à la rentrée des émigrés. Les gens bien élevés, que la Révolution avait chassés et dont la rentrée dans le monde pourrait contre-balancer ou corriger la grossière vulgarité régnante, reviennent plus ou moins ruinés, incapables, pour la plupart, de subvenir aux dépenses d'équipage el de domesticité qu’entraîne le port habituel des costumes d’apparat à l’ordre du jour. Ils se tiennent forcément à l’écart des réunions officielles, et les quelques nobles ayant conservé un revenu suffisant pour vivre sur un grand pied font comme les autres, par esprit de caste : ils s’abstiennent de paraître dans le grand monde, ou bien ils affectent de n’y porter que les vêtements habituels : frac, chapeau rond, souliers à rubans. Ils semblent répudier systématiquement tout ce qui pourrait rappeler les modes anciennes. Par le fait, toute une catégorie de personnes, que l’on aurait un intérêt évident à attirer dans la sphère gouvernementale, s’en trouve écartée.

Dernièrement, dans un salon, j'entendais une femme d'esprit émettre des réflexions analogues, à l’occasion de l’entrée du chevalier de Boufflers avec sa femme, Mme veuve de Sabran (1). Il était affublé d’une redingote transformée en frac, l'épée au côté, le chapeau de

(1) Boufflers, marié à Breslau, en 1797, à la spirituelle « blonde aux yeux noirs », était revenu à Paris en 1800. Il avait achevé de se ruiner, en essayant de créer des colonies d’émigrés sur les terres que le roi de Prusse lui avait concédées, aux confins de la Pologne. Cherchant une situation officielle, il devait en effet se croire tenu à une extrême circonspection. Ses précautions furent inefficaces ; jamais le Premier Consul ne prit au sérieux l’auteur de certaine chanson ultra-badine. On rendit au chevalier son fauteuil académique; on lui octroya une modeste place à la Mazarine; ce fut tout! I sera plus loin question de Boufflers et de sa situation modeste,