Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 165

Afin de vous donner en passant une idée du lyrisme qu'inspire le Premier Consul, voici quelques expressions prises au hasard dans l’ode à laquelle j'ai fait allusion. Elle est intitulée : Napoléon Bonaparte: elle a paru dans le Journal de Paris, à l'heure où Sicard publiait les programmes. On y appelle Bonaparte : « Ce sage »; — on dit : « L’œil de Napoléon débrouille le chaos » ; — on le compare à « l’astre majestueux qui échauffe et éclaire la terre ». — Plus loin, je lis : « où de si grands desseins surpassent la matière, où les héros sont des dieux toutpuissants » ; — « Le beau, le vrai, se peut à peine croire », — «ilrend l'ordre au monde et l'éclat aux cités ». — A mon avis, « ordre » n'implique pas nécessairement wniformité. Vous aurez remarqué qu'il n’est pas question de grec dans le nouveau programme. Bonaparte paraît, en effet, avoir une antipathie décidée contre ce qui vient de la Grèce. On assure que les institutions privées qui, en l'absence d'écoles publiques, s'étaient ouvertes en grand nombre, et dans lesquelles on enseigne le grec, ont été invitées à se renfermer désormais dans les termes des règlements. Je ne doute pas d’ailleurs, étant donné l'esprit de soumission régnant, que les chefs de ces établissements n’eussent adopté spontanément, sans avis préalable de l'autorité supérieure, les programmes dans leur rigueur.

Les préférences du Premier Consul sont acquises à Rome; elles se décèlent par son goût exclusif pour les pièces romaines de Corneille, et, parmi celles-ci, pour Cinna. En général, il paraît rarement au théâtre; il vient toutefois de faire infraction à ses habitudes en faveur de Mlle Georges, jouant dans Tancrède. Depuis près de deux mois que je suis ici, c’est la première fois qu'il assiste à