Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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une représentation. On dit que Mme Bonaparte a fait cadeau d’un magnifique manteau écarlate, brodé en or, à la jeune reine des Français. On chuchote aussi que Lucien Bonaparte est en négociation avec Mlle Raucourt, aux fins de s'assurer les faveurs de la belle débutante ; un cadeau princier et un souper fin auraient été les préliminaires de l'affaire. De mauvaises langues prétendent enfin que le ministre de l’intérieur vient, de son côté, de jeter son dévolu sur Mile Volnais (1).

Un mot, à cette occasion, des mesures de sûreté prises lorsque le Premier Consul va au spectacle. Un détachement de gardes à cheval galope en avant de la voiture pour recevoir le Consul à la porte du théâtre; un second détachement suit de façon que le Consul soit complètement entouré. À l’intérieur du théâtre, le service est fait par des soldats à pied de la garde, formant une double haie de l’entrée au couloir des loges. Aussitôt le Consul descendu de voiture, pendant qu’il passe au milieu de la double haie de fantassins, les cavaliers mettent rapidement pied à terre, attachent leurs chevaux deux par deux et, laissant quelques hommes à leur garde, marchent, le sabre au clair, à la suite du Consul; ils stationnent ensuite devant la porte de sa loge pendant la représenta‘ion. À la sortie, mêmes évolutions, en sens inverse.

Quant à moi, modeste spectateur payant, j'ai été, sans escorte, entendre l’autre soir Mithridate de Racine; cette représentation m'a fait grand plaisir. Saint-Prix s’est bien

(4) Reichardt doit faire confusion. Mme D’Abrantès, mieux placée pour pénétrer les mystères des coulisses, indique la séduisante Mile Bourgouin, comme la protégée ministérielle. Mlle Volnais passait pour avoir son protecteur; mais l'influence, au théâtre, de cet ami était éclipsée par le patronage que Geoffroy, le redouté critique des Débats, daignait accorder à « la voix ayant des larmes » de l'actrice. (Mémoires, t. III.)