Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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acquitté du rôle du roi du Pont. De vieux habitués, mes voisins, ont prétendu que son jeu est moins d'inspiration personnelle que l'écho d’heureuses réminiscences de Lekain. Pour mon compte, Saint-Prix m’a paru réellement pénétré de l'esprit de son personnage dans les endroits marquants. Mile Bourgouin (1)-Monime, a déclamé correctement plutôt qu’elle n’a bien joué; elle s’est montrée beaucoup plus à son avantage dans le Florentin (2), petite pièce qui, suivant l’usage, a succédé à la grande. — Une autre soirée s’est passée au Théâtre Feydeau, qui donne une gentille nouveauté : Michel-Ange, opérette de Nicolo (3), jeune compositeur originaire de l’île de Malte. Le libretto, insignifiant, a pour sujet une anecdote apoecryphe de la vie du grand artiste; mais la musique est gracieuse et contient de charmants motifs. Elle est dans le bon style de l’opéra-buffa, et les artistes l'ont parfaitement rendue; Mme Saint- Aubin, en particulier, a été la soubrette que l’on peut rêver.

Hier, au Théâtre Louvois, nous avons eu un concert organisé par Rode. Afin d'échapper au règlement de police draconien qui prélève le quart de la recette brute des concerts, tandis que l’on n’exige que le dixième pour les

(1) Mile Bourgoin joignait aux charmes du visage — ses yeux étaient superbes — un organe agréable et flexible. Elle aimait son art et réussissait surtout dans les amoureuses de la comédie. Le tragique n’était pas son fait.

(2) Amusante comédie, où se trouve une scène digne de Molière. On l’attribue à La Fontaine, bien qu'il soit difficile de déterminer la part lui revenant dans ce produit d’une collaboration avec le mari de la Champmeslé.

(3) Isouard (Nicolo), né à Malte en 1775, d'un père français, élevé à Paris, avait étudié la musique en Italie. Il revinten France comme secrétaire du général Vaubois, après la capitulation de Malte (7 septembre 1800). Michel-Ange fut le point de départ de la vogue exagérée dont Nicolo a bénéficié sur les scènes parisiennes jusque vers 1814.