Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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représentations théâtrales, on avait donné, avant le concert, une pochade : le Pacha de Suresne (1). Retardé par un dîner, je n’ai vu de cette saynète que les costumes tures des acteurs qui s'étaient groupés dans une avant-scène pour entendre le concert.

L’archet de Rode a été merveilleux : justesse, qualité de son, attaque, expression parfaites; les difficultés les plus ardues enlevées avec un brio sans pareil. Parfois, son style est singulier, mais toujours plein de goût ; il a réussi à s'approprier l’originalité de son maître Viotti, et a su y joindre, dans l’adagio et la romance, un sentiment naïf et tendre qui est bien le reflet de son aimable caractère. Frédéric et Ozy (2) ont brillamment joué un concerto pour cor et basson; je ne saurais toutefois égaler leur exécution ni leur style à ceux de notre Lebrun (3) et de Ritter (4). En revanche, une cantatrice italienne, la signora Rolando, de l'Opéra-buffa, je crois, m'a infligé un véritable supplice, avec ses airs de bravura à la mode. J'ai eu une nouvelle preuve du défaut de sens musical chez les Parisiens. Bien que la signora exécute lourdement ses vocalises et chante souvent faux, elle s’est fait applaudir, grâce son aplomb imperturbable. Les dispositions des auditeurs sont d’ailleurs aujourd’hui telles, que les excellents artistes de Feydeau en sont à regretter

(1) Le Pacha de Suresne, ou l'Amitié des femmes, comédie en un acte et en prose, par Etienne et Nanteuil.

(2) Frédéric, prénom sous lequel on désignait souvent le corniste

Duvernoy dont il est question p. 131. — Ozy, professeur de basson au Conservatoire.

(3) Le Lyonnais Lebrun, ancien premier cor à l’Académie royale, était entré à la chapelle du roi de Prusse après 1792. Fétis, qui l’a entendu en 1802, dit n'avoir pas rencontré de corniste qui lui fût alors comparable.

(4) Ritter, virtuose sur le basson, originaire de Mannheim, apprécié à Paris en 1777, avait été appelé à Berlin, en 1788, pour faire, Jui aussi, partie de la chapelle royale.