Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

176 UN HIVER A PARIS

La pièce du jour est le Chat botté: sans doute un tout autre personnage que celui que nous devons à la fantaisie de Tieck (1), mais, en somme, un être très drôle, ingénieusement produit en public. On avait artistement travesti en matou un petit garçon qui faisait crânement sonner les talons de ses bottes. Quand il s’asseyait sur son séant, sa fine fourrure blanche bouffait comme un moelleux gilet, et lorsque son maître — Arlequin — qu'il suivait pas à pas dans ses aventureuses pérégrinations, prenait place sur le trône avec une majesté comique, Chat-Botté, se couchant à ses pieds, s’endormait dans une posture tout à fait gracieuse. En l'honneur d’Arlequin, il y a eu beaucoup de changements de décors, aussi habilement pratiqués qu'on pourrait le faire dans un grand théâtre. La musique elle-même n’était pas mauvaise ; on a chanté de jolies chansons, bien accompagnées par un harpiste posté dans la coulisse.

Ce qui m'a fait trouver à cette féerie un certain intérêt, c’est qu’elle est montée par une vieille connaissance à moi, l’honnête maître de chant Foignet (2), assisté par sa famille. Cet homme actif et industrieux a su se tirer d'affaire pendant les plus mauvais jours. Propriétaire du petit Théâtre des jeunes artistes, intéressé dans plusieurs

Bondy; le foyer dont il est question plus bas donnait sur le boulevard Saint-Martin.

(1) Le Matou botté de Tieck est un chat spirituel et romantique, qui vise à abstraction et fait de l'ironie à froid. Il manque de verve primesautière et vraiment poétique.

(2) Foignet père, venu de Lyon à Paris en 1779, avait enseigné ce qu'on appelait alors la musique vocale. De 1791 à 4799, il composa un grand nombre d'opérettes, applaudies dans les théâtres secondaires. Son fils aîné, François, a également écrit quelques partitions légères; après avoir tenu les emplois de ténor et de baryton à Paris eten province, il est mort de misère à l'hôpital de Strasbourg, en 1845. Gabriel, second fils, a eu de la réputation comme professeur de harpe, de 1812 à 1895.