Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

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est le seul qui paraisse encore quelquefois sur l'affiche de Feydeau; comme vous le pensez, le profit est maigre pour le vieux compositeur. Ce vieillard, plein de sens et d’un sentiment musical si naturel et si fin, est un des Français avec lesquels j’aime le mieux à parler musique et théâtre. En causant avec lui, on acquiert la certitude qu'il n’a écrit ses plus jolis morceaux que sous le coup d'une véritable inspiration. C’est cette vérité du sentiment qui explique l'impression que font partout ses mélodies passionnées. On a tiré autrefois de son Déserteur (1) un ballet pantomime, en utilisant presque toute la partition originale. Il est question de le reprendre prochainement à l'Opéra. Je suis impatient de voir si la pantomime de Gardel et ses danseurs réussiront à me procurer, à nouveau, le plaisir raffiné que j'ai goûté jadis à Londres, quand j'écoutais la belle musique de Le Picq (2), écrite sur la donnée du Déserteur, et que j’applaudissais la pan tomime supérieure du danseur Rossi. Vous devez vous rappeler que, grâce à cet artiste, nous avons alors passé

(4) Drame lyrique en trois actes, paroles de Sedaine, 1769. Le ballet pantomime qu'en tirèrent Gardel et son collaborateur habituel, Miller, fut présenté avec succès à l'Opéra, le 16 janvier 1788. Il a eu 480 représentations jusqu'au 17 janvier 1808.

(2) Dans ses Lettres sur les arts imitateurs (Paris, 1807), le célébre chorégraphe Noverre dit, en parlant de Le Pieq : « Ce protée de la danse réunissait tous les genres. La facilité, le moelleux, l'harmonie qu'il mettait dans tous ses mouvements lui donnaient un air céleste. »

Le Picq s'était mis en réputation à Naples; Noverre voulut l’atta- » cher à l’Académie royale et le fit débuter dans les Caprices de Galathée, qu'il composa spécialement pour lui et la fameuse Mlle Guimard. Malgré un vif succès et l'épithète d'Apollon de la danse que le publie parisien lui décerna, Le Picq, dégotté par les cabales de coulisse, retourna à Naples; de là, il alla à Londres, où des appointements considérables le fixèrent quelques années. Il quitta l'Angleterre pour s'attacher à la cour de Russie; il s’y trouvait en 18083. Après avoir été un charmant danseur, il fut un remarquable chorégraphe compositeur, du style de Noverre.