Un hiver à Paris sous le Consulat (1802-1803) d'après les lettres de J.-F. Reichardt

SOUS LE CONSULAT. 497

de se venger du satirique; elles ont choisi pour chef de leur ligue Chapelain, la victime principale, mais qui est entouré d’une grande considération dans le monde. Le procureur Rollet, chargé par les conjurés de combiner l'entreprise, fait montre d’un grand zèle pour assurer le succès; mais on ne tarde pas à s’apercevoir qu'il s'occupe moins de venger l’honneur des poètes que de soigner ses intérêts et ceux de ses collègues en chicane. Il chante :

Attaquer les vers et la prose Des grands et des petits auteurs, Ce n'est rien, ou c'est peu de chose; Mais attaquer les procureurs!!! Vous dites dans votre satire : « J'appelle un chat un chat et Rollet un... » Morbleu, Nous verrons, nous verrons dans peu S'il vous est permis de tout dire.

Rollet n’est du reste pas le seul conjuré qui place ses vues personnelles avant l’objet de la ligue. Tous les amours-propres sont en éveil chez les versificateurs, et, dans une jolie scène où le procureur se donne le plaisir de les surexciter en leur rappelant les traits les plus vifs du satirique, on devine qu’au fond les critiques de Boïleau sont approuvées par chacune des victimes... en ce qui concerne ses confrères en Apollon. Ils sont cependant d'accord pour faire éclater leur indignation contre des attaques à Chapelain; mais ils se refroidissent, lorsqu'ils entendent Chapelain dire, en parlant du terrible ennemi:

Ma muse, en l'attaquant, charitable et discrète, Sait de l'homme d'honneur distinguer le poète,

et en apprenant, de sa bouche, qu’il a mis Boileau en tête de la liste des pensions dressée sur l'ordre de Colbert; Racine, Molière figurent également sur cette liste, mais le nom d'aucun de ces conjurés, qui ont cependant choisi